Deux femmes à l’assaut du Grand Palais en cette nouvelle année. À ma gauche, Eva Jospin revient sur la manière dont la grotte s’est imposée dans son travail comme l’envers de la forêt. À ma droite, Claire Tabouret présente six maquettes grandeur nature de ses futurs vitraux de Notre-Dame incarnant l’esprit de la Pentecôte. Rencontres, séparées. Balle au centre.

FRANCE – PARIS – EVA JOSPIN – 2025
Portrait de l’artiste plasticienne Eva Jospin 2025 lors de son Exposition au Grand Palais.
Photograph by Edouard Monfrais-Albertini / Hans Lucas.
POUR TOUTE PUBLICATION S’ADRESSER A L’AUTEUR

Avec Grottesco, Eva Jospin poursuit une recherche engagée depuis plus de dix ans autour de la grotte et de la forêt, deux motifs qui orientent sa manière de penser l’espace. Présentées au Palais des Papes à Avignon puis à l’Orangerie de Versailles, ses œuvres trouvent ici une nouvelle configuration, fidèle à une logique de reprises, de déplacements d’échelle et de subtiles variations. Cavités ouvertes, parois stratifiées et motifs en expansion structurent ses dessins à l’encre, ses sculptures de carton, mais aussi ses architectures imaginaires et ses œuvres brodées. Ses travaux évoquent alors les jardins baroques italiens, les rocailles fantaisistes du XVIIIᵉ siècle et les grottes artificielles. L’artiste, au visage de madone, interroge cette expérience première du décor, lorsque l’œuvre instaure un espace à la fois réel et fictif, dont la perception demeure toujours labile. En juin prochain, sa séance d’installation sous la coupole de l’Académie des beaux-arts inscrira ce travail dans une autre temporalité, prolongeant une réflexion déjà ancienne sur la manière dont l’œuvre dialogue avec les architectures archaïques et le temps long.

Le titre de votre exposition, Grottesco, renvoie à une légende, celle d’un jeune romain tombé par inadvertance dans une cavité, où il découvre de magnifiques fresques oubliées ; les vestiges de la Domus Aurea de Néron, ensevelie depuis des siècles. Pourquoi partir de cet épisode ?

Il n’y a jamais véritablement de fil fictionnel dans mes œuvres, au sens narratif du terme ; elles installent surtout un décor, et j’aimais cette idée de la découverte comme événement, puisque le terme grotesque demeure un mot lié à cet événement précis et non à un style. Je l’ai compris assez tard et je trouvais cela beau, cette manière dont la langue fonctionne, le fait que certains mots sont descriptifs tandis que d’autres sont commémoratifs. Le grotesque appartient à cette seconde catégorie, et cette idée me plaisait autant que celle d’imaginer la merveille qui gît sous la terre, que je relie également aux premières découvertes de grottes comme Altamira en Espagne, à la fin du XIXᵉ siècle, ou encore Lascaux dans les années 40. Dans ces moments de révélation, cette longue histoire de la peinture apparaît alors comme un fil enfoui, ininterrompu, que nous redécouvrons tardivement, et dont l’origine est finalement très récente à l’échelle du temps.

Depuis une dizaine d’années, déjà, la grotte a pris racine dans votre travail, s’ajoutant à votre thème de prédilection, à savoir la forêt…

La grotte est venue assez vite dans mon imaginaire, avec ce désir d’œuvres qui prennent en compte le minéral et le souterrain. Tout s’est clarifié avec Panorama, cette œuvre semi-circulaire, que j’ai exposée en 2016 dans la cour Carrée du Louvre, dont la conception remonte à deux ans plus tôt. Ce qui m’importait alors était de repartir de cette pièce et d’un grand dessin à l’encre réalisé à la même époque à la Villa Médicis, L’Encre des grottes. À ce moment-là, j’avais déjà envie d’articuler la grotte à la forêt, ces deux mondes archaïques qui forment les fondations de mon travail, et ces œuvres ont ainsi ouvert une réflexion sur la manière dont les motifs se déploient et circulent donnant lieu à plusieurs bifurcations, notamment vers les folies architecturales et la question de la scénographie.

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Choisie en décembre 2024 pour réaliser les vitraux contemporains de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Claire Tabouret présente au Grand Palais le travail préparatoire de cette commande publique hors norme. Réunies à taille réelle, les six maquettes donnent à voir un projet encore en cours, pensé dans un dialogue étroit avec l’architecture, la lumière et l’histoire du monument. Elles révèlent les étapes qui précèdent le passage du papier au verre, tandis que les vitraux sont actuellement en fabrication à l’atelier Simon-Marq, à Reims.

FRANCE – PARIS – CLAIRE TABOURET – 2025 Portrait de l’artiste plasticienne Claire Tabouret lors de son Exposition au Grand Palais en Décembre 2025. Photograph by Edouard Monfrais-Albertini / Hans Lucas. POUR TOUTE PUBLICATION S’ADRESSER A L’AUTEUR

Intitulée D’un seul souffle, l’exposition s’ancre dans le thème de la Pentecôte tel qu’il a été formulé dans le cadre de la consultation menée par l’archevêché de Paris. Plus qu’un simple cadre iconographique, ce motif engage une réflexion sur le collectif, la coexistence et la possibilité d’un regard partagé. Pensée pour un lieu sacré traversé chaque année par des millions de visiteurs venus d’horizons multiples, cette peinture figurative assumée s’élabore à partir du monotype et du pochoir, dans un équilibre chromatique attentif à la lumière blanche de la cathédrale. L’image, fragmentée par la structure même du vitrail, se compose ainsi au rythme des contraintes architecturales. En donnant accès à ce processus, Claire Tabouret ouvre les portes de son atelier et interroge ce que signifie, aujourd’hui, peindre pour un monument appelé à traverser le temps.

Au Grand Palais, vous choisissez de montrer le travail préparatoire des futurs vitraux de Notre-Dame alors même qu’ils sont encore en cours de réalisation. Pourquoi ce choix ?

Lorsque le Grand Palais m’a invitée, je n’avais pas encore participé à la consultation pour les vitraux de Notre-Dame. J’avais imaginé une exposition assez vaste, pensée comme un retour sur les dernières années de mon travail. Entre-temps, le projet des vitraux a pris toute sa place, suscitant un fort intérêt du public, mais aussi une polémique. Il devenait difficile de montrer un travail sans lien avec ce dont tout le monde parlait alors. Il aurait inévitablement été perçu à travers ce prisme, au risque de créer une confusion. J’ai donc choisi d’assumer cet intérêt et de montrer le projet tel qu’il se présente aujourd’hui, encore en mouvement. C’était une manière d’ouvrir la porte de l’atelier, de laisser entrer le plus grand nombre, tout en affirmant que ce projet appartient à tous et s’adresse à tous, mais aussi de susciter une attente autour de l’installation des vitraux, à la fin de l’année 2026.

Grottesco, d’Eva Jospin, D’un seul souffle, de Claire Tabouret,  Grand Palais, jusqu’au 15 mars.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge