Parisienne d’origine italienne, Léa Simone Allegria signe un roman, Douce menace, d’amour plein de fougue qui dévoile les arcanes du caravagisme.

Amants clandestins et tous deux écrivains, Alba Vespucci et Nino Malaval se retrouvent à Rome pour une scappatella de quelques jours, autrement dit une entorse au mariage de Nino, père de famille et bien marié, qui veut néanmoins croire qu’Alba est la « femme de sa vie ». Experte en œuvres d’art, l’héroïne a déniché chez un antiquaire un tableau qui pourrait être le double d’un fameux Caravage, Le Petit Bacchus malade, une toile que l’historien Roberto Longhi avait attribuée au peintre lombard en 1927. À moins qu’il ne s’agisse d’une copie. L’enquête s’immisce dans la vie du couple, la pimente et se traduit par des tribulations rocambolesques qui fournissent à la romancière l’occasion d’évoquer la vogue du caravagisme. Au début du xviie siècle, ce courant bouleversa la peinture au point de devenir une industrie : le succès du clair-obscur encouragea les virtuoses baroques à « caravagiser » à outrance ; il n’est pas jusqu’au maestro lui-même qui ne reproduisît ses tableaux pour répondre à plusieurs commandes. Le phénomène, qui se répandit à travers l’Europe, fait l’objet de discussions passionnées entre les amants sur la notion d’emprunt et de plagiat en peinture, alors que celle de duplicité en amour se développe en miroir dans leur conscience.

Au fil de la lecture, on est vite séduit par le style fleuri, primesautier et parfois volontiers loufoque de Léa Simone Allegria, qui écrit avec brio, c’est-à-dire avec energia et vivacità pour le dire en italien — une langue qu’elle maîtrise parfaitement et dont elle émaille son texte. En voici un exemple : « Gloria Mancini [la « flamboyante directrice de la galerie Borghèse »] sourit de sa large bouche, pareille à la baleine qui a avalé Jonas puis l’a recraché, trois jours plus tard, près d’un rivage hostile, tandis que le reste de son visage demeure figé. »

Beaucoup mieux qu’un guide, ce livre aurait été le companion book idéal de l’exposition que le musée Jacquemart-André a consacré l’an passé aux chefs-d’œuvre de la galerie Borghèse, une collection que constitua le cardinal Scipione Caffarelli-Borghese, neveu du pape Paul V et mécène avisé, pendant les dernières années de la vie brève du Caravage. Pour l’enrichir, il avait fait saisir, par l’intermédiaire de son oncle, sous le prétexte fallacieux de détention illégale d’arquebuses, 107 tableaux de maîtres que possédait le Cavalier d’Arpin, un peintre maniériste tombé en disgrâce. La romancière raconte brillamment cet épisode et beaucoup d’autres d’une époque aventureuse et fascinante, qui s’entrelacent avec l’idylle d’Alba et Nino. Le récit est aussi entrecoupé de sémillantes descriptions de Rome dans la veine des Promenades de Stendhal.

Ancien mannequin et autrice de deux premiers romans remarqués, Loin du corps (2017) et Le Grand Art (2020), Léa Simone Allegria est non seulement écrivaine, mais artiste et galeriste. Ce troisième roman confirme la singularité de son talent qui consiste à mêler avec élégance et pertinence sa vaste érudition à une belle histoire d’amour.

Douce menace, Léa Simone Allegria, Albin Michel, 256 p., 20,90 €