Il y a trois ans, Olivier Rolin a embarqué pour une destination aussi privilégiée qu’exotique. Il en a tiré un récit tout empreint du lyrisme débonnaire qui est devenu sa marque.

Comme leur nom l’indique (celui de Sporades étant réservé à l’archipel du nord de l’Égée), les îles Éparses sont dispersées au sud-ouest de l’océan Indien, autour de Madagascar et dans le canal du Mozambique. Europa, Juan de Nova, Glorieuses, Tromelin, auxquelles s’adjoint l’atoll de Bassas da India, sont des « territoires résiduels de la République », autrement dit un vestige de l’empire colonial que revendiquent Madagascar, les Comores et Maurice. D’où la nécessité d’y affecter de micro-garnisons de soldats français pour les défendre.

Afin de le récompenser, en guise de pige, pour sa préface à La Guerre du Péloponnèse de Thucydide que lui avaient commandée les éditions de l’École de guerre, Oliver Rolin s’est vu offrir de participer à une mission de ravitaillement à bord du Champlain, un bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer. Ravi, le baroudeur vétéran accepte volontiers l’offre, et le voici qui embarque, au début de 2022, avec une vingtaine de marins dont la moyenne d’âge est de vingt-cinq ans.

Le récit de ce voyage est un condensé de Rolin at his best. On est entraîné par la découverte aventureuse de ces îles exotiques, mais aussi par les liens singuliers que l’écrivain tisse avec l’équipage. Près de deux générations les sépare, mais il s’en accommode mieux que les jeunots : « Je suis aussi étrange à leurs yeux que si j’étais une tortue habillée, leur étonnement est tel qu’il m’arrive de me demander si je n’ai pas une carapace sur le dos et un chapeau de clown sur ma tête de reptile. » Et de les croquer un à un, avec son sens de l’observation malicieux. Bon gré, mal gré, une complicité s’instaure car Rolin connaît bien la mer, le lexique de la marine, et il sait naviguer. Outre le ravitaillement des soldats en poste, les marins se consacrent à des exercices de simulation pendant lesquels il prend des notes et dessine les illustrations en couleur dont il agrémente son récit. On est vite conquis par son émerveillement devant la singularité du monde. Plus encore que les paysages d’aquarelle à la Rothko qu’il décrit, le bestiaire est l’une des réussites de ce livre tonifiant au lyrisme débonnaire. Néphiles, murènes, squales, carangues, phaétons et autres bestioles insolites surgissent au détour des pages, tels ces bernard-l’ermite, « gros comme le poing, qui pullulent tant qu’on a l’impression que la plage frissonne. Quand j’approche, ils s’enfoncent dans le sol brûlant (il y a de drôles de vies), plaquant une pince disproportionnée sous leurs yeux en clous de girofle, comme s’ils venaient de dire une grosse connerie ». Ce regard, c’est tout Rolin : précision de l’image, clin d’œil métaphysique dans une parenthèse hors champ, envoi goguenard.

On songe à Long John Silver plutôt qu’à Lord Jim, à un personnage du Quart, le chef-d’œuvre de Níkos Kavvadías, dont Rolin a préfacé l’édition de 2006 parue chez Denoël. On l’imagine d’ailleurs très bien dans un port grec, en train de siroter un verre d’ouzo, invitant les blancs-becs, sur un ton gouailleur, à larguer les amarres.

Vers les îles Éparses, Olivier Rolin,Verdier, 96 p., 17,50 €