Rencontre avec Aurélie Allexandre D’Albronn une jeune violoncelliste qui aspire, au sein de son ensemble les Illuminations, à créer un vaste projet permettant le dialogue entre Les Illuminations de Rimbaud, des poètes et des musiciens contemporains.

Aurélie Allexandre D’Albronn est une jeune musicienne qui aime la littérature. Une  écrivaine qui joue du violoncelle. Une jeune trentenaire, amatrice de Boulez et lectrice de Quignard. Une interprète de Kaija Saariaho et une poète d’aujourd’hui. Une artiste inclassable qui cherche à réunir poésie et musique, culture classique et création contemporaine, dans des formes ouvertes et audacieuses. Des laboratoires de création qui guettent les métamorphoses poétiques, autant que la composition musicale. Voilà pourquoi cette violoncelliste passée par le conservatoire, et que l’on a pu entendre dans des répertoires classiques et contemporains, a créé en 2022 son ensemble Les Illuminations. Ce titre emprunté à Rimbaud témoigne assez de sa recherche de lier musique et paroles, dans une démarche qui emprunte autant à Benjamin Britten qu’à Georges Aperghis.  Dans quelques jours, l’ensemble donnera sa nouvelle création Vera vita viva ! qui relie différents morceaux composés par des femmes dans un dialogue entre violoncelle, violons, clavecin et alto. Mais si nous nous rencontrons aujourd’hui, c’est aussi, et peut-être avant tout, pour évoquer le grand projet de l’ensemble, « La Fabrique d’Illuminations », une fresque poétique et musicale, qui, partant de huit poèmes des Illuminations de Rimbaud, proposerait en miroir huit compositions et poèmes contemporains, commandés pour l’occasion. Un projet littéraire, musical, scénique qui souhaiterait permettre, un temps, de renouer le dialogue essentiel entre musique et littérature contemporaines. Aurélie Allexandre d’Albronn qui le porte avec passion, m’en explique les grandes lignes en cet après-midi de printemps. A ses côtés, Isabelle Junca, écrivaine membre des Illuminations et co-autrice de son dernier texte, Un jour les étoiles, ( éditions Al Manar), écoute, acquiesce, et par instants précise.

Comment résumeriez-vous votre parcours ?

J’ai un parcours classique, je suis sortie du conservatoire et j’ai pendant toutes mes études été tiraillée par un double appel, la musique et la poésie. Je n’ai pas voulu choisir, voilà pourquoi j’ai créé Les Illuminations, que je veux un lieu de recherche sur ce dialogue entre littérature et musique contemporaines. Je mène cette recherche avec des artistes qui ont ce goût du contemporain, l’idée est d’être dans la co-création, de se placer dans un processus de recherche commun. Dans cet ensemble, il y a des musiciens de ma génération, mais pas seulement, et nous pouvons inviter d’autres musiciens, même apparemment éloignés de nous  : par exemple, pour notre dernière création, Le Jardin d’Afrique, nous étions douze musiciens, dont un oud, des flûtes, une harpe, et dans notre nouvelle création, Vera, vita, viva !, il y aura de l’accordéon et du clavecin…Cette variété est pour nous très importante, j’assume que nous ne soyons pas liés à une esthétique précise, je refuse les guerres de chapelles dans la musique contemporaine, je crois aux différences.

Pourriez-vous dire un mot sur Vera, vita, viva ! ?

C’est une heure de musique entièrement composée par des femmes, de l’époque baroque à 2025. C’est un fil ininterrompu de chefs-d’œuvre, c’est un dialogue de répertoires, sans applaudissement, ni explication, pour que le spectateur soit emmené au fil des siècles, avec un instrumentarium assez étrange puisqu’on a un clavecin, de l’accordéon et un trio à cordes.

Vous allez aussi présenter votre projet au long cours, « La Fabrique d’Illuminations »…

Oui, l’idée est de faire dialoguer les poèmes de Rimbaud avec des poèmes contemporains, qui serviront de prétextes de commandes à huit compositeurs et compositrices d’aujourd’hui. Nous nous inspirons des Illuminations de Benjamin Britten, surtout pour l’armature. Mais si Britten a construit une fresque où l’on comprend mal les vers de Rimbaud, notamment parce que les poèmes sont coupés, je crois qu’il a surtout voulu exprimer l’énergie du poème, ce qui n’est pas notre cas, nous allons au contraire nous centrer sur les mots. Je vais donc donner ces huit poèmes des Illuminations à huit poètes contemporains, en leur proposant de les utiliser comme un limon qui se dépose en eux, et surtout pas en cherchant à rendre hommage ou à pasticher Rimbaud. Je vais construire des tandems entre compositeur et poète, ce sera un des défis du projet. Je pense que cette démarche méritera d’être fixée sur CD, mais aussi gagnera à la représentation scénique, dans un grand concert de restitution, qui pourrait avoir lieu début 2028. Ce seront seize œuvres qui seront en création mondiale.

Et parmi ces créations, allez-vous écrire un poème ?

Oui. J’ai commencé à écrire pour la musique avec Georges Aperghis, et depuis j’y ai pris goût, parce que c’était une expérience nouvelle et très forte.

Benjamin Britten avait choisi comme vers premier de ses Illuminations, « j’ai seul la clé de cette parade sauvage », quel est le vôtre ?

« Je suis le maître du silence. »

Vera Vita viva ! Archipel des murmures, Fondation Singer Polignac, 7 juin, Abbaye de Maubuisson/ Festival Un Temps pour elle, dimanche 8 juin.