Entre chorégraphie et théâtre, Tango y Tango offre grâce et sensualité sur la scène du Rond-Point.

Le tango est « une longue suite d’adieux » écrivait Borges. Cette citation résonne sur la scène du Théâtre du Rond-Point quelques instants avant le final de Tango y Tango, hymne grandiose à la danse argentine. Les mots de Borges sont prononcés alors que la figure centrale de la pièce, Juan, ancien danseur, « fantôme » dit-on de lui, arpente une dernière fois la piste de danse de la vieille « milonga » de Buenos Aires qui sert de décor à la pièce. Traversée par les images de l’Argentine d’hier et d’aujourd’hui, gros plans de familles et d’enfants, caméra zigzaguant dans les ruelles de la ville, fêtes populaires, mais aussi interviews des fameuses « Mères de la place de Mai » qui réclamèrent si courageusement leurs enfants sous la dictature, la « milonga » devient un microcosme du pays, et de son histoire. En son centre, la silhouette souple et élégante du danseur Mauro Caiazza qui permet au personnage de Juan, sous son costume blanc, de révéler le fardeau d’une vie qui fait corps avec le XXe siècle argentin. Lui répondra son double jeune, dans un jeu de miroir très borgésien, incarné par Juan Zurita. Mais le récit de Juan, on le découvre aussi grâce à  Jeanne, jeune Franco-argentine qui vient là pour s’ouvrir à un monde qu’elle ignore, et à qui Rebecca Marder confère candeur et impertinence. Nul ne sait à la fin de la pièce, s’il réussira, par la danse, à se libérer de ses souvenirs. Construisant ce spectacle comme le rêve d’un lieu, d’une culture, d’un pays oubliés, Santiago Amigorena à l’écriture, Philippe Cohen Solal et le mythique Gotan Project à la musique, Marcial di Fonzo Bo à la mise en scène et Matias Tripodi à la chorégraphie, réussissent à nous faire entrer dans l’esprit du tango : à la fois arrachement et convocation du plaisir enfui. C’est ainsi du moins que ces Argentins exilés l’éprouvent. Et c’est ainsi que le public le ressent, face aux multiples scènes de danse que les six ou huit interprètes enchaînent, changeant de costumes et de partenaires, dans une virtuosité folle. Si l’on saisit assez vite que si le tango est l’hymne nostalgique à la patrie perdue, une sehnsucht dirait le poète allemand, une mélancolie chantée et dansée, la danse ne se défait jamais d’une sensualité extrême. C’est tout le paradoxe de cette danse, comme de la pièce, que d’alterner des moments de joie et des chants d’une poignante tristesse. Comme si la jeunesse dansante répondait à la complainte de la chanteuse, éblouissante Cristina Vilallonga, figure solaire du spectacle dont on pourrait dire qu’il lui est en partie dévouée. « Le tango s’adapte toujours » dit Philippe Cohen Solal dans le dossier de presse. C’est en effet sa métamorphose à laquelle nous assistons au cours de ce spectacle spectaculaire et intime qui réussit à nous mener jusqu’où il le souhaite : dans la prière des corps dansants.

Tango y Tango, Santiago Amigorena, Philippe Cohen Solal, Marcial di Fonzo Bo, Matias Tripodi, Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 27 mai. 

https://www.theatredurondpoint.fr