Du 5 au 14 mai, la Comédie du Livre – 10 jour en mai rappelait qu’il n’y a rien de plus urgent que la littérature. Qu’il s’agisse de mots, de pensée ou de plaisir, de plaisir de la pensée et de plaisir des mots. On y était. Compte rendu.

Pour tous ceux qu’exaspère légitimement ce triste travers de la pensée veule et amortie, pour tous ceux que consterne cette paresse des imaginations dont l’horizon est bouché par on ne sait quelle prétendue conception d’un « réel » qui aurait la fadeur de la banalité ressassée – pour tous ceux qui, en un mot, s’émeuvent avec André Breton de « la surestimation extravagante du connu par rapport à ce qui reste à connaître », l’antidote était, la semaine dernière, à portée de TGV. 

Puisque la Comédie du Livre, de rencontre en dialogue, sous ses tentes et dans ses enceintes, a fait une fois de plus la preuve que, à quelque obédience l’identifiât-on, nonfiction ou roman, poésie ou essai, la littérature n’a de sens, de mérite et de raison d’être qu’aventurière. Défricheuse, hardie navigatrice, éclaireuse – qu’importe le flacon métaphorique, l’ivresse des mots et des idées était toujours là. Et ce, qu’il s’agisse des auteurs eux-mêmes ou de la tonalité propre au festival, avec un entrain dans l’exigence, une chaleur enjouée qui ne cède jamais sur la distinction de la pensée, la portée de la langue ou la hauteur morale – pourvu qu’on entende ce dernier adjectif au sens le plus noble du terme, celui d’un humanisme attentif et sans concession.

Qu’on en juge. Voici Laure de Chantal qui met toute son érudition sensible et limpide au service de Sappho, une Sappho qui quitte avec elle les reliefs érodés des lieux communs pour être restituée à toute la fraîcheur émouvante et vivifiante de son paysage mental et esthétique ; en contrepoint, Adeline Grand-Clément, avec une minutie passionnée, rétablit les dieux grecs dans le royaume des sens, ce royaume des sons, des couleurs, des odeurs qu’arpentent aussi les humains. Taina Tervonen montre, elle, combien notre confort d’esprit historique, lorsqu’il s’agit de la colonisation et de ses séquelles, baigne dans un halo d’incertitudes, d’approximations complaisantes, est entouré de vastes cercles d’opacité et d’occultation ; Nétonon Noël Ndjékéry fait lui aussi de l’histoire africaine, en l’occurrence le Tchad, son terrain – et, dans ses mains comme dans sa parole, cette prodigieuse fable amplifiée qu’est le roman devient le plus juste et le plus éloquent des instruments pour apprécier les manipulations infligées à l’Histoire.

Il faudrait aussi rapporter avec quelle finesse Emma Becker décèle les points où joue le sexe dans la littérature, ou plutôt sur la littérature ; laisser entendre que Kaouther Adimi et Paola Pigani ont plaidé avec brio pour le roman comme puissance d’élucidation par ses propres moyens, par opposition à l’emploi desséché et si anti-romanesque d’on ne sait quel outillage théorique revêtu du vocable d’« idée » ; dire que Stéphanie Kalfon, discutant avec Yves Ravey a peut-être défini d’un mot le milieu naturel de toute entreprise littéraire : le « paradoxe ». Et Sibylle Grimbert, évoquant cette étrange modalité de la connaissance qui est liée à l’ignorance, ne la contredirait certainement pas. On ne sait pas si la vraie vie est ailleurs ; mais la vraie littérature, elle, est dans l’ailleurs – loin de l’« ici » trop connu de nos représentations. 

La Comédie du Livre – 10 jours en mai, Montpellier, du 5 au 14 mai

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