Suite à un deuil et une plongée dans l’œuvre de Pierre Soulages, Mickaël Le Mer crée Les Yeux fermés : Un Fiat Lux en mille nuances.  

Quand la lumière fait faux bond au jour, on la retrouve parfois en creusant les ténèbres. Par exemple, entre les stries ou dans les reflets d’un tableau de Soulages, en passant derrière l’outre-noir comme en rejoignant l’est par l’ouest. Mickaël Le Mer a fait ce voyage, dans toute la palette des sensations, du Musée Soulages à Rodez à une quête spirituelle suite au décès de son père, lui-même peintre et amateur de l’œuvre de Soulages. Le Mer, qui vient du hip hop et fonda la compagnie S’poart (à prononcer « espoir ») en 1996 a fait un long parcours jusqu’à cette suite de tableaux où la lumière structure un espace sculpté par des faisceaux coupés au cordeau ou bien devant quatorze parois tournantes. Le sol aussi réfléchit la lumière et l’envoie dans les miroirs qui vibrent, créant des effets rappelant une surface d’eau au soleil. On parle ici de la lumière avant d’évoquer les interprètes car ainsi était l’ordre des phases de création. Les Yeux fermés a lancé aux danseurs ce défi lumineux qui consistait à s’intégrer dans une partition établie par Nicolas Tallec, fidèle créateur lumières qui ne jure que par les « corrections de blanc » et insiste : « En vingt-cinq ans de créations, nous n’avons jamais utilisé la moindre couleur. » Et pourtant, on n’aura jamais un sentiment de manque ou d’absence, tant les nuances varient d’un bout à l’autre d’une palette qui va du plus ambré au plus froid, jouant avec les surfaces réfléchissantes. 

Mais en première partie, toute lumière est latérale, coupant l’espace en « rues » et provoquant « la cassure de la lumière sur les corps ». La partition chorégraphique est un clair-obscur qui dévoile soit les jambes soit les bustes, les corps se faisant avaler ou recracher par l’outre-noir dans toute son incandescence. Aussi les danseurs restituent l’effet qui se crée, selon Le Mer, au Musée Soulages quand on se déplace entre les tableaux. Aussi se lancèrent-ils le défi de parler sur scène, par neuf corps en pleine vie, d’une œuvre qui interroge l’au-delà, sans restituer d’éléments concrets de l’œuvre. Ils ont juste laissé, entre les miroirs qui habillent le mur de fond, des écarts noirs séparant les éléments, comme si quelques stries des pinceaux de Soulages avaient trouvé leur chemin jusque sur le plateau. Mais c’est tout. Le chorégraphe, l’éclairagiste et le scénographe Guillaume Cousin étaient allés ensemble à Rodez, chez Soulages. Une expérience qui a soudé leur démarche et aidé à surmonter un deuil, à trouver de la lumière au bout d’un tunnel. Et ils commencèrent par la partition des lumières. Ensuite sont arrivés les danseurs, leurs gestes, leurs constellations variées en lignes, en cercles, dans leur transcendance des styles. Où quelques éléments en mode break, reflètent, dans leur sentiment si aérien et pourtant enraciné dans le sol, une apparente légèreté des corps, comme Soulages fait apparaître rayons et étincelles. Car, comme le dit Le Mer, toute boîte noire d’un théâtre est au fond une surface en outre-noir dans laquelle on fait surgir les lueurs de la vie.  

Les Yeux fermés de Mickaël Le Mer, les 3 et 4 mai – Le Pavillon Noir (Aix-en-Provence), le 11 mai – Le Zef (Marseille) et le 16 mai – L’Avant Seine (Colombes)