Découvert à la Semaine de la critique, L’Eden, fable politique centrée sur un camp d’internementest un petit joyau.

On ne sait pas si Andrés Ramírez Pulido admire Sergueï Paradjanov, mais son premier long-métrage comme son protagoniste portent les traces de La couleur de la grenade : Eliú a du sang sur les mains et son crime lui vaut un internement dans un centre de détention pour mineurs, niché dans la jungle colombienne, à mi-chemin entre le camp de redressement et la retraite dépurative, des séances de méditation thérapeutique étant administrées aux jeunes délinquants entre deux travaux de terrassement – du relief comme des corps récalcitrants. On observe alors une jeunesse en chantier, le film documentant le labeur de ses personnages en même temps qu’il met ses acteurs amateurs à contribution. Le tournage, qu’on imagine éprouvant, vient redoubler la question posée par la fiction : quelle est la valeur morale de ces travaux forcés ?

L’Eden interroge donc la croyance carcérale, ajoutant le soigner au surveiller et au punir, associant le guérisseur de l’âme au geôlier des corps, et expose son épouvantable promesse : puisqu’il existe une maladie criminelle et une tare civilisationnelle, il faut l’éradiquer, dans un souci de purification sociale. Pour permettre une éventuelle réincorporation de ces brebis galeuses au sein du collectif, le vice doit être extirpé de leur psyché défaillante. C’est ainsi qu’on verra les gardiens soumettre les détenus à la question, les obligeant à lister le moindre vice caché en eux, débusquant le tort à redresser jusqu’au fond de leurs pensées honteuses : voleurs, pervers, menteurs, toxicomanes… L’existence même du camp fixe géographiquement et ontologiquement ces jeunes hommes comme marginaux, scellant leur appartenance à un groupe indifféremment criminel, c’est-à-dire à la lie ultime. Andrés Ramírez Pulido, intelligemment, s’attache donc à en décrire l’organisation et la structure, conscient que ce traitement ordonné de l’élément subversif découle d’un projet politique, mêlant surveillance, hygiénisme et éducation missionnaire.

De cette hypothèse cauchemardesque, le film retient – c’est sa grande qualité – la possibilité d’une résistance, tout entière contenue dans le secret originel d’Eliú, logé au fond d’une anfractuosité. Là, au sein du cœur sanglant de la terre matricielle bat le pouls diffus, mais continu, du mystère. Par une nuit profonde, Eliú descend dans la grotte du crime, alors transformée en tombeau de la résurrection. Le renversement des valeurs touche au sublime, puisque c’est justement par le meurtre, par la culpabilité comme marque indélébile, que l’humanité de l’adolescent est finalement réaffirmée. Le sang sur les mains ne désigne plus le monstre, mais le frère. Si le camp servait à le défaire de son individualité, à le refabriquer selon une norme homogène, la renaissance d’Eliú le forge à nouveau selon son image véritable, l’autorisant à reprendre le fil d’une vie longtemps interrompue.

L’Eden, Andrés Ramírez Pulido, Pyramide, sortie le 22 mars

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