La réalisatrice Joanna Hoog revient avec Eternal Daughter, superbe film sur une mère et une fille dans un vieil hôtel vide. 

Joanna Hogg, pour son dernier opus, Eternal Daughter, nous plonge dans une brume épaisse sortie de l’imagination de Mistress Radcliffe. Julie Hart, cinéaste en panne d’inspiration, accompagne sa mère Rosalind dans un hôtel ayant jadis appartenu à la famille Hart. Cette vieille bâtisse gothique, terrain de jeux de l’enfance de la mère, renferme bien des secrets. Mère et fille sont concomitamment interprétées par Tilda Swinton, actrice fétiche de Hogg depuis Caprice (1986) et amie d’enfance comme de cinéma. Cette haute demeure victorienne fait dès lors office de lieu de pèlerinage. Les souvenirs toujours hantent l’œuvre d’une cinéaste britannique qui s’ingénie à capturer l’invisible, la mémoire, avec ses accrocs à repriser. Film hommage à la mère, film de rencontres et de disparitions, baigné dans une atmosphère spectrale, Eternal Daughter s’arrête sur l’inspiration tarie, l’enfant absent, la culpabilité filiale. Julie erre la nuit autour de Moel Faman Hall, à la lisière de la forêt, appelle son chien perdu, tombe sur le gardien qui fait sa ronde, s’assied au coin du feu pour parler filiation. Elle lit, boit du thé, observe avec obsession la standardiste de l’hôtel qui chaque soir répète le même rituel, se maquille en son miroir avant de disparaître à bord du bruyant bolide piloté par son petit ami. De plongées en contre-plongées, l’œil intrusif de Julie s’attarde sur une jeune fille à l’accueil si revêche, qui se laisse avaler par la nuit malgré sa doudoune et ses talons aiguilles qui crissent sur les graviers. Les volets claquent, empêchent de dormir, les chambres sont toutes occupées dans un hôtel toujours vide. Julie trouve refuge dans une chambre isolée pour écrire, mais l’inspiration ne vient plus, le temps s’est arrêté, tout paraît immobile dans ce décor figé. À la manière d’une anamnèse, le film déroule les pertes et ramène d’entre les morts les absents comme un soldat-cousin disparu à la guerre. Les spectres irradient à la surface d’une pellicule qui tente de redessiner leurs figures. Les liens qui se tissent entre mère et fille, l’une étant la doublure à peine un peu plus fanée, à peine un peu plus pâle de l’autre, ne nous piègent-ils pas dans un éternel recommencement ? L’Anglaise Hogg réussit à métamorphoser la célébration d’un simple anniversaire en pur rite mortifère. Et si le brouillard enclôt les habitants du manoir à la manière d’une épaisse forêt d’épines, c’est que le château de la Belle a enfermé la fille dans un songe d’éternité. À force de collecter des traces invisibles, à force d’enregistrer les récits de Rosalind, Julie ne comprend pas que sa tentative de conjurer la mort est vouée à l’échec et qu’elle ne capte pas plus cette voix éteinte que le monde extérieur. Aussi pour celle qui s’est bâti tant de remparts contre les assauts du passé, le réveil s’annonce brutal. Magistral!

Eternal Daugther, Joanna Hogg, avec Tilda Swinton, Joseph Mydell, Carly-Sophia Davies, Condor Films, Sortie le 22 mars

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