Nicolas d’Estienne d’Orves, chroniqueur à Transfuge, signe un réjouissant et irrévérent Dictionnaire amoureux du mauvais goût. Le bon goût, quelle horreur bourgeoise nous dit le romancier !

L’amour du mauvais goût c’est un peu un privilège de classe, un « plaisir aristocratique de déplaire » (Baudelaire) — lié aux modes qui se font et se défont, c’est surtout un étendard contre la religion du bon goût, grande ennemie de l’Art disait Duchamp. Ce mauvais goût témoigne surtout d’une détestation des émois du temps qui nous a immédiatement précédés — au fond, tout enfant juge les inclinations de ses parents ridicules. Avec ce Dictionnaire amoureux du mauvais goût, dans la droite ligne de la collection du même nom qui fait florès chez Plon, Nicolas d’Estienne d’Orves égraine les entrées attendues, incongrues, ou carrément saugrenues. Il met en garde d’emblée le lecteur sur le caractère absolument subjectif de la chose, anticipant ainsi les inévitables frustrations. Il ne pourra tout dire, recenser, écrire. Volontiers provocateur, l’auteur s’épanche et s’amuse, conscient de la tautologie des goûts et des couleurs. Quels liens entre le cannibalisme et les chansons paillardes, le cholestérol et les éoliennes, Erich von Stroheim et le professeur Choron, Serge Brussolo et pêle-mêle des phénomènes de mode, marqueurs d’un temps qui ne durera pas forcément longtemps : les selfies, la 3d, les canulars téléphoniques, les 4×4, les SMS, le vin nature, etc., sinon un raffinement de l’association iconoclaste, ébouriffante ou tout simplement une soif inextinguible de l’inapproprié. Pour les besoins de ce dictionnaire, l’auteur retourne dans les greniers de sa mémoire, ouvre les vieilles malles maternelles qui ont jalousement conservé une rédaction de collège, parangon de la fascination qui l’habite depuis sa prime jeunesse pour le mauvais goût. Rédaction qu’il dénonce lui-même comme « paresseuse », rédaction qui horrifia son professeur de littérature au point de lui valoir un séjour dans le bureau de la sœur Régis — à laquelle il admet avoir dédié son premier roman en guise de doigt d’honneur ultime. Recopiée telle quelle, la rédaction révèle un imaginaire où les facéties et la volonté de trousser des phrases échevelées vont bon train. Nicolas d’Estienne d’Orves n’hésite pas à vilipender ici où là son époque si politiquement correcte, à revenir sur les travaux pompidouliens qui ont défiguré la capitale que l’enfant de Senlis rêvait encore balzacienne — allant jusqu’à remercier le cancer qui emporta avec lui président républicain et projets pharaoniques d’autoroutes aériennes — à chercher des noises à ceux qui détiennent les clés du confort bourgeois, soupesant la valeur de ce qui convient en matière d’Art ou ne convient pas. Peut-être qu’un distinguo entre kitsch, camp et mauvais goût manque à l’appel, mais il l’a annoncé en préambule, le propos de ce Dictionnaire n’est pas là. Nicolas d’Estienne d’Orves veut donner à voir, aimer, partager ses dilections plutôt qu’à tordre le cerveau à coups de distinctions conceptuelles. Le rire s’invite fréquemment dans ces pages où l’irrévérence confine à la meilleure marque d’élection et de goût, pas forcément bon n’en déplaise au lecteur, une manière différente d’habiter le monde, marginale et déphasée.

Dictionnaire amoureux du mauvais goût de Nicolas d’Estienne d’Orves (Plon), parution le 26 janvier