Dévoilée l’été dernier au festival d’Aix-en-Provence, la nouvelle production, signée Tobias Kratzer, du Moïse et Pharaon, de Rossini, s’installe à Lyon pour sept représentations. 

Moins célèbre que sa Cenerentola et son Barbier de Séville, le Moïse et Pharaon, de Rossini, remake de son Mosè in Egitto, composé en 1818 pour le Teatro San Carlo de Naples, n’en demeure pas moins un ouvrage majeur. Créé pour la salle Le Peletier, ancêtre du Palais Garnier, il préfigure le grand opéra romantique français, à la Meyerbeer, et les chefs-d’œuvre de Verdi. La dernière production scénique, signée Luca Ronconi, à l’Opéra de Paris, datant de 1983, la nouvelle proposée, l’été dernier, au Festival d’Aix-en-Provence, coproduite par l’Opéra de Lyon et le Teatro Real de Madrid, était attendue, ce qui ne l’a pas empêchée de diviser critique et public. Difficile de conjuguer le drame historico-politique, la dimension surnaturelle, et l’intrigue amoureuse, de surcroît inventée, entre la nièce de Moïse, baptisée Anaï, et Aménophis, le fils du Pharaon. Certains ont déploré la division du plateau, par Tobias Kratzer, afin de montrer, simultanément, un état-major en costumes cravates travaillant sur des ordinateurs, et un camp de migrants avec ses baraquements et ses haut-parleurs : l’Occident n’est pas le seul responsable des malheurs du Moyen-Orient et, contrairement aux migrants d’aujourd’hui, les Hébreux ne pouvaient compter sur des ONG. Idem des images d’inondations et d’incendies de forêts projetées en fond de scène : les plaies envoyées par Dieu, dans la Bible, afin de faire ployer l’intraitable Pharaon, ont peut-être été des catastrophes naturelles, mais la question migratoire n’était alors pas liée, comme aujourd’hui, à la question écologique. À défaut d’être le directeur d’acteurs du siècle, le metteur en scène allemand a néanmoins livré quelques tableaux grandioses :  la traversée de la mer Rouge —avec la complicité du vidéaste Manuel Braun— et l’épilogue figurant des vacanciers d’aujourd’hui jouant au ballon sur une plage. Une image dans laquelle on peut lire le triomphe de la liberté sur l’esclavage des Hébreux, ayant rejoint leur terre promise, autant que l’indifférence aux tragédies de notre temps, fussent-elles le résultat d’une absence de politique migratoire. À Lyon, c’est le chef maison, Daniele Rustioni, qui sera au podium et, de la production aixoise, on retrouvera l’Osiride d’Edwin Crossley-Mercer ; l’Eliezer discutable de Mert Süngü ; l’Aufide d’Alessandro Luciano ; l’excellente Marie, de Géraldine Chauvet, et la basse Michele Pertusi, en Moïse, compensant l’usure du timbre par une projection et un style déclamatoire impressionnants. On aurait aimé réécouter Pene Pati, qui se remettait alors à grand-peine du Covid, en Aménophis, et surtout la Sinaïde, de Vasilisa Berzhanskaya, dont le mezzo chaud et corsé, le naturel de l’émission, et l’aisance dans la colorature, firent merveille. Reste la vraie vedette du spectacle : le chœur de l’opéra de Lyon dont les onze prières, accompagnées par un orchestre somptueux, ont fait, à Aix, et feront, à n’en pas douter cet hiver, à Lyon, de Moïse et Pharaon, l’un des plus beaux oratorios jamais composés en langue française. 

Moïse et Pharaon de Gioachino Rossini. Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon. Direction, Daniele Rustioni. Mise en scène, Tobias Kratzer. Du 20 janvier au 1er février à l’Opéra national de Lyon