Chantre du mouvement Arts & Crafts, le visionnaire William Morris a droit à une magnifique exposition à La Piscine de Roubaix.

Entre Londres et Canterburry, se dresse une maison bourgeoise en briques rouges. La Red House signe, dès 1859, l’idéal esthétique de ses inventeurs, le décorateur William Morris et l’architecte Philip Webb, admirateurs des guildes du Moyen Âge et férus de poésie courtoise. À l’intérieur, se déploie le riche éventail de ce qui sera plus tard nommé le style Arts & Crafts, composé d’un ensemble de peintures, tapisseries, meubles et papiers peints au goût imprégné de nostalgie médiévale. Tissus cramoisis, alcôves enténébrées et chevelures rousses habillent ces œuvres troubadours qui chantent un modernisme nouveau, celui d’un idéal de beauté au diapason d’un art de vivre. Dans les salons bourgeois, on lit Oscar Wilde sous la lumière mordorée d’une tenture de soie saturée de motifs floraux rappelant les millefiori du Moyen Âge. Grâce à des prêts du musée d’Orsay, de la Tate Britain et du Victoria & Albert Museum de Londres, l’exposition roubaisienne ressuscite cet univers artistique qui révolutionna la place des arts décoratifs. « Il est temps en France de rendre hommage à William Morris » écrit la commissaire de l’exposition Sylvette Botella-Gaudichon, passionnée par cette figure anglaise du XIXe siècle qui fut bien plus que « le créateur de papiers peints des maisons victoriennes ». 

Elève de John Ruskin et ami intime d’Edward Burne-Jones et de Dante Gabriele Rossetti, chefs de file de la confrérie picturale des Préraphaélites, le jeune William Morris est éduqué à la légende arthurienne dont il rejoue les actes symboliques au creux des bosquets de la campagne anglaise. La littérature, sur fond de Paradis Perdu de John Milton, façonne son esprit épris d’histoires fantastiques dans lesquelles il décèle les chemins désirés d’une utopie sociale. Doué en tout (à cinq ans il lit Walter Scott et s’adonne au dessin botanique), il écrira plusieurs poèmes et romans, dont les fameuses Nouvelles de Nulle Part éditées en 1890, qui auraient inspiré Aldous Huxley, ainsi que des histoires annonciatrices du roman de science-fiction dont Tolkien s’est revendiqué. Sous couvert de fiction, il théorise une société où l’homme vivrait en harmonie avec la nature, ce dont témoignent son engagement auprès de la Ligue Socialiste en 1884 ainsi que son activité florissante dans les arts décoratifs au sein de laquelle il veilla au bien-être de ses artisans. Peintre, designer, écrivain, bibliophile, imprimeur (il crée la prestigieuse maison d’édition Kelmscott Press), Morris fut aussi ce qu’on appellerait aujourd’hui un militant écologiste – sa firme prôna l’artisanat contre l’industrialisation galopante – doublé d’un féministe de la première heure. A 23 ans, il écrit La Défense de Guenièvre, texte sortant l’épouse du roi Arthur de son silence face à son accusation d’adultère. Ce qui amène à penser que celles et ceux qui voient aujourd’hui une expression du patriarcat dans l’art des Préraphaélites sont à côté de la plaque. 

William Morris (1834-1896). L’art dans tout. Jusqu’au 8 janvier 2023. La Piscine-Roubaix