Le festival Un Week-end à l’est, consacré à Odessa et aux artistes ukrainiens, s’est superbement achevé hier soir par le concert de l’Orchestre symphonique des jeunes d’Ukraine au Châtelet. Un moment d’une grande ferveur.

Sous les applaudissements du Châtelet, deux jeunes musiciens déploient le drapeau ukrainien. La scène est pleine : derrière eux, l’orchestre des Jeunes Ukrainiens salue. En bord de scène, Oksana Lyniv brandit sa baguette de cheffe et remercie la salle, visiblement émue. Le public est debout, furieux et ravi, au diapason de l’émotion sur scène. Parmi eux, des Ukrainiens célébrant dans la ville de l’exil, les jeunes musiciens de l’orchestre, lumineux et bouleversés d’être ainsi accueillis sur une scène parisienne. Le concert de l’Orchestre symphonique des jeunes d’Ukraine fut un moment d’une rare intensité au Châtelet hier soir. Un accomplissement aussi musical que politique, et sans doute bien au-delà. Un moment de fraternité retrouvée, qu’Ukrainiens comme Parisiens ressentirent dans la salle. Le festival Un Week-end à l’est s’est achevé dans ce moment de ferveur. Ces cinq jours au cours desquels le Châtelet, le Théâtre de la Ville, les Beaux-Arts, et un grand nombre d’églises, de cinémas et de galeries de Saint Germain nous ont permis de découvrir l’art contemporain ukrainien, sous toutes ses formes. Ce fut aussi cinq jours où nous avons pu rencontrer musiciens, écrivains, philosophes, poètes, cinéastes, peintres ukrainiens qui nous racontèrent ce qu’était leur quotidien depuis février dernier : l’engagement immédiat au début de la guerre, la difficulté de créer, de puiser dans l’imaginaire, « alors même », me raconta l’écrivaine Sofia Andrukhovych, « que nous en avons besoin plus que jamais ». Mais aussi le froid, la peur, le manque. La perte d’amis, de famille. Le choix de rester au pays pour beaucoup d’entre eux. La difficulté à toujours prendre la parole pour les femmes à l’étranger, alors que les hommes sont retenus au pays, pour combattre. Les voyages, si difficiles, les trajets en car de vingt, trente, quarante heures. Les rencontres avec des gens avec qui les artistes ne se mêlaient pas jusqu’à présent ; l’unité du peuple ukrainien. 

Rhapsodie d’Odessa

Hier soir, au Châtelet, cette unité s’avérait saisissante. Était-ce parce que le festival avait choisi Odessa comme ville symbolique du festival ? Odessa, ville de Nathan Milstein et Sviatoslav Richter, se devait d’être convoquée par la musique. Ainsi les soixante musiciens de l’Orchestre ont déployé dès 20h, leur talent pour ouvrir le concert, en interprétant le beau et complexe Concerto pour deux violons et orchestre en do majeur, de Mozart. Deux jeunes solistes se tenaient aux côtés d’Oksana Lyniv. Celle-ci, de sa courte silhouette, un châle aux couleurs ukrainiennes enroulé au-dessus des hanches, dansait. Gestes amples, fins, d’une inventivité constante, elle faisait corps avec son orchestre. L’actuelle directrice musicale de l’opéra de Bologne, que l’on annonçait pourtant blessée, était inépuisable. Les deux jeunes solistes, Andrii Murza et Aleksey Semenenko rivalisèrent de vitalité pour embrasser la flamboyance du Concerto de Mozart. Mais ce fut dans la dernière partie, que l’orchestre se livra réellement, lorsqu’ils interprétèrent l’Odessa Rhapsody d’Evgueni Orkin. Morceau contemporain mêlant théâtre et musique, et traversant les différentes influences de la musique d’Odessa, du klezmer au romantisme, cette rhapsodie permit aux solistes, à la cheffe, comme à l’orchestre de passer du rire à la mélancolie, de l’exaltation à l’élégie.

L’esprit même de la musique de Mitteleuropa aujourd’hui attaquée. Oui, sans nul doute, il y eut un peu de l’opéra d’Odessa au Châtelet hier soir.