En 2020, Suzanne de Baecque s’est présentée au concours de Miss Poitou-Charentes. Elle en a tiré Tenir debout, un spectacle culotté, aussi drôle que fou sur l’univers des miss.

Les jambes tendues, le corps légèrement désarticulé, elle a cet air godiche d’une adolescente grandie trop vite. Mais au-delà de la gêne palpable de celle qui s’expose pleine de doutes – comme si elle était en train de commettre une grosse bêtise –  pointe une ironie mordante. En témoigne le sourire désarmant que Suzanne de Baecque laisse en permanence flotter sur son visage. Sourire qui semble quasiment exister par lui-même, comme indépendant du reste de sa personne, révélant l’extraordinaire fibre comique dont fait preuve la comédienne dans Tenir debout

Cette création, fruit d’une immersion au sein du milieu des « miss régionales », restitue dans un mélange cocasse d’inquiétude et de culot cet élan contradictoire où l’on se jette à corps perdu dans l’arène ; avec en tête les rêves les plus fous mais aussi une forte appréhension. Les images projetées de chevaux à l’exercice aux abords d’un champ de course avant même que l’actrice soit entrée en scène, donnent d’emblée le ton de cette exploration très personnelle du monde des miss. Plus tard, sa partenaire Raphaëlle Rousseau, équipée d’une sangle en cuir, l’entraînera comme s’il s’agissait d’une « bête de concours ». 

Or de concours, il est évidemment question ici sachant qu’en 2020 Suzanne de Baecque s’est présentée à l’élection de Miss Poitou-Charentes. Sa participation à cette compétition s’inscrivait dans le cadre d’un projet proposé lors de sa dernière année de formation à l’Ecole du Théâtre du Nord de Lille. Tout est parti d’une boutade quatre ans plus tôt, à une époque où elle passait non sans inquiétude des concours pour intégrer des écoles nationales d’art dramatique. Alors qu’ils font la queue à la caisse d’une superette de province, avisant une affiche proposant de s’inscrire pour l’élection de Miss Poitou-Charentes, son beau-père lui dit : « Ah, ben si t’as pas tes concours, tu pourras t’inscrire à Miss Poitou ! ». La blague, moyennement appréciée, fera son chemin. 

Il fallait une certaine audace pour s’engager dans une telle aventure. Plutôt que de tirer un reportage de son expérience, Suzanne de Baecque a opté pour une forme hybride, non narrative, entre performance et théâtre documentaire. Cette liberté associée à son sens de l’humour mais aussi son intérêt pour les jeunes filles ayant concouru avec elle contribue à la singularité de Tenir debout. Repérée la saison passée pour son interprétation lumineuse de Lisette dans La Seconde surprise de l’amour de Marivaux, mis en scène par Alain Françon, la comédienne, épaulée par Raphaëlle Rousseau qui signe la chorégraphie du spectacle, montre ici une nouvelle facette de son talent. 

D’une folle inventivité, son approche du milieu des miss prend à rebours les clichés associés à cet univers pour s’en amuser, mais surtout en souligner les tenants et aboutissants. À commencer par la question brûlante du regard porté sur ces jeunes filles prêtes à beaucoup de sacrifices pour exposer leur physique face à un jury. C’est ce qui fait que, outre certaines séquences désopilantes, comme la manipulation d’une machine évidemment phallique qui envoie de l’air dans les cheveux de la miss, son enquête pleine d’empathie auprès de celles qui ont concouru à ses côtés s’avère un témoignage bouleversant sur leurs vies et leurs aspirations. Entre celle qui, joueuse de rugby professionnelle, a perdu vingt kilos en deux mois pour concourir, celle qui collectionne des bouddhas ou encore celle qui se bat contre un cancer. Un spectacle hors du commun porté par une réflexion sensible et étayée sur la question du regard – celui des autres et celui que l’on porte sur soi-même.

Tenir debout, de Suzanne de Baecque, avec Suzanne de Baecque et Raphaëlle Rousseau. Du 23 au 26 novembre à Rennes, Festival du Théâtre national de Bretagne ; du 30 novembre au 2 décembre au CDN d’Orléans.