À la Comédie de Clermont, après avoir subjugué le public avignonnais, Emmanuel Eggermont présente le troisième volet d’une série de pièces chorégraphiques consacrées aux arts plastiques, un poème autour de Monet.

Nuances de bleus, effets miroirs et grands carillons silencieux sculptent l’espace, délimitent des zones de jeux et invitent à un voyage au-delà du geste et de la perception. Silhouette longiligne, grande mèche brune, très « fashion » cachant en partie son front large et bombé, Emmanuel Eggermont traverse la scène, déambule en manteau, immense, mauve, parfaitement taillé, se glisse le temps d’un clin d’œil dans la peau d’un mannequin de défilé. Corps droits, presque raides, vêtus d’habits aux lignes futuristes, semblant sortir de collections Automne-Hiver de chez Prada ou Yohji Yamamoto, trois danseuses et un danseur emboitent son pas cadencé. Comme traversé par la bande-son lancinante et électro de Julien Lepreux, chacun prend la pause, avant de se laisser porter par ses rythmiques intérieures, son propre langage corporel. 

Mouvements diffractés, récits fragmentés, Emmanuel Eggermont compose une œuvre très graphique par surexposition d’images. Empruntant autant au voguing, au popping qu’à la danse contemporaine, l’artiste poétise, slame, esquisse par touches un happening festif « so » chic en apparence, mais tellement puissant dans sa manière de conjuguer au plateau arts plastiques, installation vivante et chorégraphie pure. Confrontant les solitudes de ses interprètes, leur gestuelle, tranchante, sophistiquée, charnelle, sensuelle ou délicate, Eggermont démultiplie les angles de vue. Par un effet d’optique et de distorsion de la lumière et du temps, il superpose les motifs, les couleurs– chaussettes roses, chaussures en cro vert, etc.- et induit ainsi une succession d’impressions rappelant autant les traits de Monet, atteint de cataracte à la fin de sa vie, que la technique « All Over » de Jackson Pollock qui consiste à répartir de façon plus ou moins uniforme des éléments picturaux sur toute la surface d’une toile. 

Jouant des codes, refusant les règles, à l’instar de Raimund Hoghe, avec qui il a collaboré plus de quinze ans et à qui il dédie cette œuvre, il trace son chemin, entre danse, performance et théâtralité. S’intéressant plus à la matière chorégraphique qu’à l’écriture, il travaille la partition de ses danseurs comme un tableau, une œuvre plastique. Tout s’imbrique avec une élégance rare, un sens du détail proche de la perfection. Esthétique, excentrique, raffinée, la langue d’Eggermont surfe avec ingéniosité entre expressionisme abstrait et surréalisme. Troisième volet d’une série chromatique entamée en 2017 avec Polis, solo inspiré de l’outre-noir de Soulages, et poursuivi en 2020 avec Aberration, autour de l’œuvre de Kandinsky, All Over Nymphéas est un uppercut visuel qui saisit. En donnant l’impression d’apercevoir en filigrane le chef-d’œuvre de Monet, sans pour autant essayer de la copier, Eggermont retient l’attention et entre avec éclat dans la cour des grands. 

All over nymphéas d’Emmanuel Eggermont. Les 15 et 16 novembre à la Comédie de Clermont.