Avec ce film mélancolique inspiré de ses souvenirs d’enfance, James Gray retrouve la grâce classique de ses débuts. 

À vrai dire, l’annonce d’un nouvel opus de James Gray ne suscitait en moi plus autant d’excitation qu’il y a quelques années. Le cinéaste s’était essayé avec ses deux derniers films (Lost City of Z et Ad Astra) au grand cinéma hollywoodien d’auteur, en tentant de mêler à la manière de Coppola grandes embardées spectaculaires et récits de l’intime. Noble ambition que tenter de sauver Hollywood quand l’industrie à rêves est devenue depuis quelques années incapable de filmer nos rêves pour mieux regarder le monde. Malheureusement, une certaine lourdeur explicative lestée de solennité lui avait ôté la grâce et l’évidence de ses débuts. Son nouveau film la retrouve et paraît aussi véloce et simple, classique dans son exécution que Two Lovers ou le très autobiographique Little Odessa. Comme pour ce dernier, Gray puise dans ses souvenirs d’enfant d’émigrés de l’Europe de l’Est afin de composer le récit d’émancipation morale d’un petit garçon dans l’Amérique du début des années quatre-vingt. Ce petit d’homme, né au sein d’une famille modeste, est envoyé dans la jungle d’un collège privé pour nantis dont un certain jeune Donald Trump. Racontée selon son seul point de vue, chaque scène, chaque instant dans Armageddon Timea la fraîcheur et la puissance d’un dévoilement du monde dans les yeux d’un enfant. Tout fait violence et scandale à ce gamin découvrant l’amitié impossible avec un camarade noir et par voie de conséquence l’injustice, le racisme, la bêtise et la perte. Pour y parvenir, Gray filme des situations fortes avec une incroyable justesse. Cette justesse tient à la précision de son découpage. Depuis des mois, le jeune homme rêve de lancer une fusée d’artificiers. Il finit enfin par le faire auprès de son grand-père bien aimé, lequel – il ne le sait pas encore – va bientôt mourir. Pour ancrer le caractère inoubliable de cet ultime moment de liesse, Gray choisit d’abord de filmer leur discussion en gros plans puis intercale un plan large au moment du décollage. Nous découvrons alors que cette scène se déroulait dans un monotone jardin sous un ciel maussade d’automne. Le choix des gros plans rend inoubliables dans les yeux de l’enfant les ultimes mots de son aïeul. Le choix du plan large rend le décollage de la petite fusée dérisoire. L’alternance du montage confère à la scène une grande mélancolie. Ainsi Gray donne la parole au gendre du vieil homme pour prononcer un sobre éloge funèbre. Mais il ne la filme pas devant la tombe mais depuis une voiture alors que la famille après l’enterrement s’apprête à retourner à l’appartement. De mémoire de cinéphile, je n’avais jamais vu l’éloge funèbre d’un gendre. De mémoire, les mots choisis en l’honneur de ce rescapé des pogroms ne m’avaient semblé plus justes. Mais ils paraissent d’autant plus justes qu’ils sont prononcés avec une certaine banalité sur le siège d’une voiture. Ce classicisme au meilleur sens du terme permet à Gray de bâtir l’air de rien un portrait mélancolique d’un pays à la dérive, qui est train de trahir ses idéaux. Confronté à de lourds choix moraux, le petit d’homme se surprendra à devoir se trahir lui-même pour intégrer ce monde triste et décevant. 

Armageddon Time de James Gray. Sortie, le 9 novembre. Universal International Pictures

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