La galerie ETC remet en lumière Charles Pollock qui se révèle un peintre immense et merveilleux, injustement écrasé par la stature du petit frère Jackson.

Au téléphone, la voix de Francesca Pollock court avec douceur, ponctuée de ce léger chaos, presque imperceptible, qui trahit une émotion profonde. Elle me détaille les vingt dernières années passées à trier un millier d’archives – peintures, photographies et correspondances – laissées par son père dans le silence d’un entrepôt new-yorkais et sous le toit d’un atelier mutique après sa mort, en 1988. Elle et sa mère ont entrepris le grand chantier de l’inventaire et de la revalorisation d’une œuvre infiniment poignante. Celle d’un grand peintre qui s’est effacé, volontairement, sans plaintes ni heurts, au profit de Jackson, le petit frère, qui révolutionna l’histoire de la peinture. Aux tourbillons expressionnistes de ce dernier, répondent les abstractions solaires de Charles, d’où la couleur, toujours maîtrisée, toujours vibrante, remonte de fonds mordorés, à la manière de fulgurances filantes et de taches liquides se déversant en architectures ténébreuses et insondables. La galerie ETC accompagne Francesca depuis trois ans pour sortir Charles de l’ombre du mythe américain. Déjà deux expositions pour en dévoiler la période colorfield et la poésie minimaliste. Cette troisième présentation revient sur l’histoire familiale des Pollock et les premières œuvres de Charles, figuratives. Des portraits d’ouvriers aux muscles saillants et des paysages champêtres dans la veine du réalisme social ainsi que des études pour de grandes fresques dans l’espace public évoquant les murs des Mexicains Orozco et Rivera. Dans un petit paysage aquarellé, un animal stylisé aux courbes fluides se détache sur un camaïeu de gris montagneux. Ce serait devant cette œuvre que Jackson aurait décidé à son tour de devenir artiste. « Bien sûr, mon père était le frère de Jackson Pollock qu’il avait entraîné sur la voie de l’art. Cependant, il était également un artiste américain à part entière, figuratif d’abord, puis expressionniste et abstrait, et enfin coloriste hors pair, dans la plus grande tradition des Rothko, Motherwell et Newman, ses amis » écrit Francesca dans son très beau libre Mon Pollock de père qui relate cette histoire de l’art forcément extraordinaire et qui se révèle être aussi le récit de l’histoire d’amour d’une fille pour son père. « Au sujet de Charles, ce ne sont que des œuvres historiques » précise le galeriste Thomas Benhamou « car elles s’ancrent profondément dans les mouvements historiques américains, elles sont de qualité muséale ». Devant nos yeux, une acrylique éclatante de couleurs dans le style hard edge projette son fond orange vif d’où se décolle une forme géométrique faite de bleu, de vert, de pourpre et de rouge. D’aspect velours, jamais clinquant, d’une austérité jamais mélancolique, toujours lumineuse. Le jour régénérant de Charles s’est-il écrit en résonance discrète à la nuit décadente de Jackson ?

Charles Pollock, un siècle américain, du 7 octobre au 17 décembre 2022, Galerie ETC, galerie-etc.com