Au Théâtre du Petit Saint-Martin, Catherine Hiegel, sous le regard aiguisé de Marcial Di Fonzo Bo, se glisse avec une malicieuse désinvolture dans le fourreau en velours noir d’une meneuse de revue sur le retour.

Fond de scène, le rideau s’ouvre, apparaît une divine créature. Regard pailleté, robe fendue laissant entrevoir une jambe galbée de soie noire, elle avance, la démarche chaloupée, le pas assuré. Du métier, elle en a. Plus de trente, quarante ou cinquante ans, qu’elle fait cela. Chaque jour, chaque soir, dans des villes différentes dont elle a oublié les noms, dans des salles de plus en plus petites, de moins en moins adaptées, inlassablement, accompagnée de ses deux boys, ses deux faire-valoir, la fille, puisque c’est ainsi que les autres la désigne, raconte sa vie, fait le show. Elle revient sur les conditions de plus en plus déplorables de son métier, le manque de moyens, les espaces scéniques qui se réduisent, les conditions de sécurité primant jusqu’à l’absurde sur l’art. Lasse, mais la passion de son métier chevillé au corps, lente et désinvolte, elle se berce de douces illusions. Vivant dans le passé, s’imaginant être toujours la diva adulée qu’elle était, voyageant en première classe, en bateau, en avion, elle ne veut voir le matériel décati qui l’entoure, les tournées à pied, les paillettes qui ont perdu leur éclat, le public qui ne vient plus, l’argent qui ne rentre plus. Dérision ou déraison, la fille esquisse les derniers feux d’un monde révolu.

 Suivant le cours fluctuant de ses souvenirs, la meneuse de revue remonte le temps. De manière itérative, presque névrotique, elle dissèque un à un les éléments constitutifs de son spectacle, son entrée, la première chanson, la place de l’un de l’autre. Jouant des silences, des mots répétés à l’envi, des retours en arrière, si cher à Jean-Luc Lagarce, Catherine Hiegel et ses deux acolytes – les excellents Raoul Fernandez et Pascal Ternisien – insufflent folie douce à ce texte, cette langue si belle, si chantante, à ce récit diffracté, qui donne à voir, à entendre, de différentes focales ces soirées, ces représentations qui se suivent, sans vraiment se ressembler tout à fait. Écrit alors qu’il vient d’apprendre sa séropositivité, Music-hall célèbre la vie, le théâtre, leur fragilité, leur éphémère existence. Après avoir mis en scène l’an dernier Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, Marcial Di Fonzo Bo s’attaque, à la demande de Catherine Hiegel, à un autre bijou ciselé de Jean-Luc Lagarce. Avec ingéniosité, humour, tendresse, il porte au plateau cette tragicomédie et nous entraîne joyeusement dans les fantasmes déchus d’une reine de pacotille, de cotillons et de strass. Laissant apparaître dans les interstices laissés par les points de suspension et les parenthèses qui jalonnent le texte, un peu de l’être derrière le paraître, le metteur en scène signe un spectacle faussement sépulcral et finement drôle, qui sacre, si c’était encore nécessaire, Catherine Hiegel en souveraine de théâtre.

Music-Hall de Jean-Luc Lagarce, Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, au Théâtre du Petit-Saint Martin, Paris