Le Collectif BAJOUR créé au Théâtre Public de Montreuil une pièce d’un humour et d’une sensibilité corrosives : À l’Ouest, une histoire familiale, dans laquelle la mort brûle autant que la vie. 

On rit beaucoup. Alors que, disons-le franchement, c’était mal parti. La fable est glauquissime : après la mort de leurs parents dans l’incendie de leur maison, leurs cinq enfants, des trentenaires célibataires et au chômage, s’y installent. Sur la scène jonchée de cendres, une table et un lustre – forcément calcinés. Au fond, un garage où s’amoncellent les cassettes audios et le matériel de Yann, l’un des frères, qui enregistre tout ce qu’il peut de leur vie. Exilés d’une société qui ne leur propose pas de travail, ce retour à la maison se présente d’abord comme délicieusement régressif. Oisifs, les personnages reprennent leurs jeux d’enfants. Les comédiens sont hilarants lorsqu’ils se font deviner des personnages de films (aussi variés que Beethoven, L’Exorciste ou Sauver Willy) ou feignent de s’entretuer. Les blagues et les jeux s’enchaînent, tendres et amusants. Pourtant, quelque chose ne tourne pas rond. Tous les jeux sont liés au mime, à la musique. Désaxée, la fratrie endeuillée a perdu le nord. Elle ne trouve pas ses mots, ne sait comment parler des choses importantes : le travail qui ne revient pas, l’impossibilité à se réaliser et surtout la mort et le souvenir des parents. Peu à peu, sans jamais se départir d’un comique qui joue autant sur les ruptures de ton que sur l’absurde et la parodie, chacun se révèle « à l’ouest ». L’une se sent « nulle » alors qu’elle est magnifique (Esther, Adèle Zouane, dont la peau diaphane préfigure la mort de son personnage bien avant qu’elle ne survienne) Yann (inquiétant et touchant Julien Derivaz au jeu imprévisible) est un peu dingue, l’ethologue (drolatique Julie Duchaussoy) n’a aucune patience. Quant à Stéphane, l’éducateur spécialisé censé s’occuper de jeunes difficiles, c’est le premier à hurler sur les autres. Veulent-ils vivre autrement ? C’est possible. L’arrivée dans leur cercle de Marc, leur voisin, trentenaire désœuvré lui aussi, le laisse penser : « ça fait du bien, ça sentait le renfermé », dira l’un des frères. Et puis, comme le souligne un autre, « un voisin qui ressemble à Gérard Depardieu c’est quelque chose ». Quant à Esther, elle tombe amoureuse jusqu’à ce que la mort les sépare -très vite dans un autre incendie- de cet ostéopathe inadapté. Aussi empotés l’un que l’autre pour la séduction, tous deux feront leur déclaration à travers une danse, hilarante et incongrue, sur une chanson de Mike Brant. Si l’on peut regretter que certains chemins soient à peine esquissés alors qu’ils auraient pu densifier la pièce (on verrait bien Marc qui ne peut se résoudre à la mort d’Esther essayer de la faire revenir d’entre les morts) le collectif BAJOUR signe un spectacle saisissant sur la famille et la mort. À mi-chemin entre Woody Allen et Peter Pan. Le rythme est vif, les sentiments brûlants et les dialogues plausibles. Comment vivre avec la mort ? Peut-être, si l’on en croit cette fratrie ensorcelante, en laissant respirer les fantômes et en soufflant sur les braises d’une folie juvénile salvatrice. 

À l’Ouest, collectif Bajour, Théâtre Public de Montreuil, jusqu’au 27 octobre.