Deux belles expos où souffle le vent fou, joyeux et génial de Jean Dubuffet. A ne pas (hour)louper !

De Jean Dubuffet, de son infatigable germination formelle, que l’expo de très haute volée chez Jeanne Bucher Jaeger embrasse dans un florilège patient et sensible qui n’en dessèche pas la luxuriance – de Jean Dubuffet, qui n’a la paresseuse impression de tout savoir ? L’Hourloupe, qui s’étale sur plus de dix ans: une triplette (bleu-blanc-rouge) pour palette, l’emportement du trait, l’amplification dans l’espace sculpté. La confrontation avide avec la matière : épaisseur, boursouflures, estafilades. La fausse gaucherie des tourbillons raturés, poussées d’une fièvre graphique qui dispute à l’enfance ses jets impulsifs. 

Effet Dubuffet : on ne sait jamais tout, c’est toujours l’épiphanie d’une surprise. Ainsi, campé longuement devantSite domestique (au fusil espadon) avec tête d’Inca et petit fauteuil à droite (1966), le vrac des parallèles décidées, des amollissements des cernures épaisses, on s’y attendait, on le retrouve, mais ce fond d’un noir intense, aux propriétés de phosphorescence, on n’y avait jamais autant songé. Ailleurs, sur les murs de la galerie, il insiste au point qu’on oublie ce qu’a de partial cet entichement, et combien il y aurait d’autres prétendants à l’exclusivité de l’œil. Effet Dubuffet, encore : la prodigalité d’une main fourmillante intime de choisir ; la fois suivante, on cueillera autre chose. 

Le noir, donc : fond, encore, de deux objets de L’Hourloupe de 1967, une tasse de thé et un verre d’eau au marker sur papier ; encre de Chine de ces quatre Paysages, avec ou sans personnage, comme le rêve déformant d’un graveur à la sensibilité excessive ; nuit aux accents presque hartungiens, de L’Expansion de l’être(1984), avec ce blanc, traînée de semence de l’éjaculation métaphysique qui gonfle sans doute l’« être » du titre, et s’entortille en bas en droite alors que passent des nuages de rose, de pourpre et de bleu… 

Qu’on voie les choses en noir chez Dubuffet, y a-t-il lieu de s’en étonner, tant l’homme fut l’artiste du négatif ? Laurent Danchin, dans les pages éclairantes de son Jean Dubuffet, rappelait la place qu’a tenue la rumination du néant chez Dubuffet. Chez qui, par ailleurs, autre caractéristique dominante, le contour est toujours saillant, large et déterminé, mais aussi accidenté, anarchique, deux séries de 1975, chez Lelong où s’atteste encore l’impossibilité, pour la pensée et le regard, faisant ressortir le patron des formes, rappelant qu’elles n’existent que découpées sur un fond – leur négatif. Sans oublier, non plus, le revers de cette exposition : le fantôme de Jean-François Jaeger, galeriste de Dubuffet, mort à la fin de l’année dernière, et dont l’exposition est la superbe oraison funèbre. 

Autres Dubuffet : de se fixer définitivement sur un aspect de l’artiste, puisque désormais, ce sont les roses chair de ces Lieux de promenade, de ces Paysages du Val-de-Marne, dont l’œil se repaît. Dubuffet, toujours à volonté !

Expo Jean Dubuffet. Le Cours des choses, galerie Jeanne Bucher Jaeger, jusqu’au 19 novembre

Expo Jean Dubuffet. Paysages et Lieux de promenade, galerie Lelong & Co., jusqu’au 22 octobre

Catalogue Jean Dubuffet. Paysages et Lieux de promenade, texte de Valérie Da Costa, Galerie Lelong & Co., 80 p., 25€