Gaëlle Bourges, chorégraphe citoyenne au fil des chefs-d’œuvre, invite à Vider Vénus quelques fantasmes cachés.  

Gaëlle Bourges donne à voir les choses derrière les choses. Elle scrute ce qui échappe au regard furtif et consommateur, quand bien même l’objet visé est une œuvre d’art, a fortiori si le sujet du tableau est le corps de la femme. Comment ce corps est-il représenté, asservi, détourné et exposé au fil des siècles, dans tel ou tel tableau emblématique ? Le regard de Bourges interroge, analyse, contextualise, jamais sans humour ni sans surprendre et chaque fois documenté par une multitude de sources et de ressources. Le plus souvent, elle part d’expériences personnelles, comme en 2009 pour Je baise les yeux, une conférence-spectacle pour « faire la genèse de ce qui crée la fiction sur une scène de strip-tease du point de vue de celui qui est regardé ». Car Gaëlle Bourges dispose d’une expérience authentique de strip-teaseuse dans un théâtre érotique parisien ! En créant Je baise les yeux, elle ne plonge pas encore dans l’histoire de l’art. Par le programme de salle, on apprend juste que « parallèlement, elle se transforme en femme blonde à des fins politiques ou autres ». L’année suivante, l’heure est à La belle indifférence. En off, l’historien de l’art Daniel Arasse égrène quelques grands tableaux de l’histoire qui déclinent le nu féminin, de Titien à Goya et Manet. Sur scène, trois danseuses baladent leurs corps de pose en pose, de La Vénus d’Urbin à l’Olympia de Manet. Mais le beau discours masculin sur la perspective et les scandales provoqués par certains tableaux est perturbé par d’autres récits enregistrés : des voix de femmes, toutes travailleuses du sexe qui évoquent les corps et les fantasmes de leurs clients. La chorégraphe conclut : « C’est donc en travaillant à aplatir l’excitation créée par le nu qu’on pourrait imaginer que la pensée est elle aussi excitante, en tout cas asexuée, et potentiellement dangereuse. » D’autant plus que la mère de toutes les questions – à savoir si le regard posé sur le modèle féminin est aussi distancié et pur qu’on le prétend – vaut aussi pour la danse. Et puis, en 2012, elle « enfonce le clou » avec Le Verrou, autour de la célèbre représentation d’excitation érotique par Fragonard. Les trois pièces formant la trilogie Vider Vénus sont aujourd’hui montrées en bloc, car il est « préférable de voir les trois volets si on souhaite obtenir une réponse aux questions ». Après, on suivra Bourges au Musée de Cluny, face aux six panneaux de La Dame à la Licorne, pour une réflexion sur le sujet qui innerve en sourdine la célèbre tapisserie médiévale : la virginité des femmes et sa représentation. Petite sœur in situ du spectacle Àmon seul désir, et titre de la mystérieuse sixième tapisserie, la performance propose une « contemplation rafraîchissante », performative et murmurée à l’oreille à l’aide de l’audioguide détourné pour l’occasion. Et c’est à Aix-en-Provence, au Pavillon Noir, qu’elle propose le décoiffant Revoir Lascaux, interrogeant le vertige qu’ont pu éprouver les quatre jeunes qui, en 1940, ont découvert les grottes par hasard, sans pouvoir comprendre où ils étaient tombés. 

Vider Vénus, trilogie : Paris, Le Carreau du Temple, du 5 au 6 octobre

Une salle où se rafraîchir : Paris, Musée de Cluny, du 8 au 9 octobre

Revoir Lascaux : Aix-en-Provence, Pavillon Noir, du 21 au 22 octobre