Avec This Song Father Used to Sing – (3 Days in May), le metteur en scène Wichaya Artamat dessine par touches délicates la relation d’un frère et une sœur qui une fois l’an honorent la mémoire de leur père défunt selon un rituel chinois. Nous l’avons vu à Actoral, à Marseille, festival de découvertes et de créations, qui se poursuit jusqu’au 9 octobre. 

Il est désagréable d’avoir le nez qui démange, surtout quand on n’a pas de mouchoir. Face à son frère en train de siroter une bière les yeux rivés sur son téléphone, une jeune femme se frotte régulièrement le visage pour atténuer l’irritation. Discrètement elle s’essuie les doigts sous la table à laquelle tous deux sont assis. Le frère apporte une deuxième canette pour sa sœur qui la repousse. Ces détails minimes parmi d’autres en ouverture de This Song Father Used to Sing – (3 Days in May) installent d’emblée le climat à la fois intimiste et fantasque de ce spectacle du metteur en scène thaïlandais Wichaya Artamat présenté pour la première fois en France au Mucem à Marseille dans le cadre du festival Actoral.

Nous sommes à Bangkok dans la maison de leur père le jour anniversaire de son décès un 17 mai. Lui est comédien et suit en même temps à Singapour une formation universitaire en art et gestion culturelle. Elle a délaissé le yoga pour suivre des cours de cuisine. « Quel genre de cuisine ? », interroge le frère. « Cuisine à la demande » répond la sœur. Les dialogues très bien écrits abondent en reparties comiques ou gentiment vachardes. Souvent leurs avis divergent. La cuisson du riz, par exemple – doit-il être mou ou tendre ? Le dilemme a son importance car le riz est destiné à leur père. On comprend qu’ils sont là pour lui rendre hommage conformément à un rituel chinois. En témoigne la présence en haut d’une colonne de son portrait, éclairé par deux bougeoirs électriques. Mais aussi de la chaise vide près de la table alors que ses enfants s’assoient sur des tabourets. Tout le sel de ce spectacle construit par petites touches délicates tient au décalage entre la solennité supposée du rituel et la désinvolture des deux enfants. Ils n’ont pas les mêmes souvenirs de leur père. Fumait-il ou pas à la fin de sa vie ? Etait-il myope ou presbyte ? Fredonnait-il réellement des chansons de Teresa Teng ? Ces chansons étaient-elles en chinois ou en japonais ? Chaque affirmation est aussitôt débattue, comme s’ils se livraient à jeu de société. On apprend au passage que le fils est fan de Leslie Cheung qu’il appelle aussi « papa ». D’un commun accord, ils décident d’exhumer la dépouille paternelle pour la rapatrier sous forme de cendre dans sa maison. Ils ont du mal en revanche à s’accorder sur la date de sa mort. Les deux scènes suivantes ont lieu un 25 mai quelques années plus tard ; puis un 15 mai. Elles s’ouvrent à chaque fois par la question : « Comment va papa ? ». Le rituel qui consiste notamment à plier du papier doré est progressivement détourné quand le fils se met à faire des avions. Il a apporté une pâtisserie pour le père, mais sa sœur en avait déjà cuisiné une autre plus conforme selon elle aux goûts du défunt. Ils en mangent la moitié. Quand ils se revoient le temps a passé. La maison est en vente. Le portrait du père est descendu de son piédestal et installé sur la chaise vide pour partager ce dernier repas avec eux. Ils l’imaginent déjà réincarné. Considérant désormais que le rituel n’a plus de raison d’être, ils spéculent sur leur avenir une fois transformés en cendres en se demandant où ils aimeraient flotter. L’occasion une fois encore d’un dialogue aussi charmant qu’irréel avec toujours à la clef leur délicieux sens de l’humour qui les fait se transporter au-dessus de la Turquie ou encore au fond des mers là ou plus jamais il ne sera question de flotter. Fin et profondément spirituel, ce spectacle qui constitue le premier volet d’une trilogie est une pure merveille.

Festival Actoral à Marseille, jusqu’au 9 octobre, www.actoral.org