Le grand nom et ex-enfant terrible de la mise en scène signe un spectacle poignant sur la Symphonie N°2 du compositeur, sous-titrée « Résurrection ».

C’est un cube de béton noir, perdu dans un désert de bauxite rouge, à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, sur la route de Marignanne. Conçu par l’architecte Rudy Ricciotti, afin d’y abriter des évènements sportifs et des concerts pop, il revit après plus de deux décennies, par la grâce de Pierre Audi, directeur du prestigieux festival international d’art lyrique, qui l’a réhabilité afin d’y donner chaque année un spectacle.

Le monolithe graffité, d’une indéniable beauté dans le soleil couchant, résonnera bientôt des forces telluriques de l’Orchestre de Paris et de son chœur. En attendant, parviennent, comme pour un concert de rock, les échos prometteurs du sound-check. Lorsque l’on rejoint les gradins, la formation de classe internationale est déjà installée et, à 21h30, dans un silence religieux, un majestueux cheval blanc fait son entrée sur le plateau rempli de 550 tonnes de boue noire. Il se promène ainsi pendant quelques minutes avant que sa maîtresse ne le retrouve et soit subitement attirée par un membre humain dépassant de la glaise. Ravalant un haut-le-cœur, elle donne l’alerte au téléphone et, peu après, des camions de l’ONU arrivent avec, à leur bord, les membres d’une ONG. Pendant une heure et vingt minutes, ces derniers vont déterrer à mains nues, les dizaines d’hommes, de femmes, d’enfants et de bébés, ensevelis dans l’immonde charnier, les poser sur des draps, afin de leur redonner une dignité, un nom, une sépulture. Une fois leurs camionnettes chargées des corps, ils repartiront, tandis que la pluie lavera la terre de cette souillure morale, de cet affront de l’homme à l’humanité tout entière. 

Une grande attention à la musique

Malgré la force de ce que l’on voit et en dépit du fait que toute la section de cordes de l’orchestre est cachée sous les spectateurs, la musique de Mahler, dirigée par Esa-Pekka Salonen, reste la vedette du spectacle. Certes, il faut un peu de temps pour s’acclimater à l’amplification inévitable dans un tel lieu, au fait que les cordes, par exemple, nous parviennent au-dessus des vents, par la série d’enceintes suspendues dans les cintres. Mais hormis quelques moments de saturation acoustique, lorsque tonnent les cuivres, la lecture analytique de Salonen est parfaitement restituée, tandis que les effets de spatialisation voulus par le compositeur — un ensemble de cuivres et percussions joue hors-scène— prennent, dans ce lieu gigantesque, un relief spectaculaire. Si Roméo Castellucci qui signe le spectacle, n’a pas toujours témoigné d’une grande attention à la musique —on en veut pour preuve son Sacre du Printemps aux Wiener Festwochen, dont une version enregistrée nous parvenait par deux petits haut-parleurs­—, il a également offert une mise en scène de l’Orphée et Eurydice, de Glück, pour ce même festival autrichien, d’une intelligence et d’une puissance indépassable en montrant, en direct et sur un écran géant, une patiente atteinte du syndrome d’enfermement écoutant l’opéra au casque depuis son lit d’hôpital. Il fait preuve ici d’une même inspiration, en laissant les protagonistes effectuer leur noble et sinistre tâche sur le Ländler enjoué du deuxième mouvement et en leur demandant de se figer littéralement à la seconde où retentit l’Urlicht, lumineusement vocalisé par Marianne Crebassa. Avec les derniers mots du chœur, accompagnés du crescendo de l’orchestre, s’impose l’idée que Castellucci a réussi son pari : faire entendre Mahler en nous forçant à voir ce que l’on préfère ignorer. Nous convaincre que notre salut n’est pas à attendre dans un quelconque au-delà mais à conquérir ici-bas, en étant des hommes et des femmes dignes de ce nom. 

Résurrection de Gustav Mahler. Orchestre et Chœurs de l’Orchestre de Paris. Mise en scène de Romeo Castellucci. Les 11 et 13 juillet au Festival d’Aix-en-Provence. (En direct le 13 Juillet sur Arte Concert)