En ouverture de la 42e édition de Montpellier Danse, la rencontre entre la danse et le chant était sur tous les plateaux. Du Brésil au Maroc, de Kurt Weill au rock. 

C’est ce qu’on appelle une ouverture en fanfare. Fanfare vocale avant tout, mais aussi avec guitare et batterie rock, orchestre symphonique ou mini-darboukas. Le weekend d’ouverture de Montpellier Danse, on pouvait ainsi passer de la tradition marocaine chez Bouchra Ouizgen au ballet chanté de Bert Brecht et Kurt Weill, ou du chant de l’oiseau uirapuru chez le Brésilien Marcelo Evelin à Philippe Decouflé et sa bande de rockeurs. La veine mélomane s’était en quelque sorte annoncée avec l’édition 2021 qui s’acheva sur la création D’un rêve, très belle comédie musicale dansée et chantée, présentée l’année dernière en clôture dans l’énorme salle du Corum, où le public s’est levé en sa totalité, faisant la fête aux danseurs et chanteurs. Et on se souvient aussi d’une époque, pas si lointaine, où Jean-Paul Montanari, indéboulonnable capitaine de ce vaisseau-amiral chorégraphique, cultivait une vision où il voyait le festival en confluence avec les autres manifestations estivales montpelliéraines, consacrées au théâtre et à la musique. 

Si cette vision ne semble plus être de mise, elle se réalise pourtant en partie sur les scènes de Montpellier Danse, où la danse et le chant cohabitent sous les formes les plus diverses. Forme très classique, quand Pontus Lidberg, directeur artistique du Danish Dance Theatre de Copenhague, invite l’Orchestre national Montpellier Occitanie pour livrer sa vision des Sept Péchés Capitaux de Brecht et Weill. Mais dans cette vision bien trop sage, la danse est décorative et l’esprit espiègle de Brecht absent. La critique du capitalisme se transforme en une pseudo-transgression où l’une des deux Anna est un garçon portant la même robe que sa sœur. Il y aurait pourtant des tas de choses à dire, à travers Brecht, sur un système qui pousse l’humanité au bord du gouffre, une fois de plus. Abime que Brecht et Weill dénoncèrent en 1933 en écrivant à Paris ce Ballet chanté. Lidberg, lui, livre un produit lisse. Un divertissement. 

Philippe Decouflé, lui, crée Stéréo, une revue rock et au moins, avec lui, on s’y attendait. Et puis on fut surpris par un moment de grâce où Violette Wanty chante le début de Mad World de Tears for Fears. A capella et, comment dire, a choreia : Personne ne joue, personne ne danse. Elle chante de sa voix de danseuse et ce n’est pas parfait, mais parfaitement sincère. Un instant d’émotion vraie dans un monde de fous, tourné en dérision. Où tout – le hip hop, le ballet, les acrobaties, les clowneries – se fait en mode autodérision. Et même celle-ci sonne fausse. C’est Mad World, dans un énorme loft très 1970 conçu avec générosité par Jean Rabasse, monstre sacré du décor de cinéma, d’opéra, du Cirque du Soleil etc. 

Après ça, on peut préférer l’austérité de Marcelo Evelin chez qui trois femmes et trois hommes répètent inlassablement les mêmes pas d’une sorte de samba réduite à son plus simple appareil, sur un chant d’oiseau qui renvoie selon Evelin à l’uirapuru, « le chanteur de la forêt » qui représente la nature ancestrale en voie de disparition. D’où une danse puisée dans la culture traditionnelle du Nordestebrésilien, mais aseptisée et poussée dans ses retranchements. Aussi rien n’y produit l’émotion ou le degré de véracité qui crée l’adhésion du public chez Lia Rodrigues, même si l’engagement d’Evelin est tout aussi sincère. 

Inversement, la méthode de Bouchra Ouizgen créant Eléphant à Montpellier consiste à rendre visibles et audibles les chants de fête et de deuil traditionnels du Maroc. Mais dans la boîte noire d’une salle occidentale, ceux-ci manquent de répondant. Les chants sont vrais, mais leur sens se perd. Au moins, Ouizgen ainsi que Milouda El Maatoui et Halima Sahmoud apportent des vibrations authentiques. C’est déjà beaucoup. Et Montpellier Danse continuera à faire danser les cordes vocales, annonçant entre autres le chant bouleversant d’Anelisa Stuurman aka Annalyzer dans We wear our wheels with pride… de Robyn Orlin ainsi qu’une murmuration du Sacre du printemps par les interprètes iraniens réunis par Hooman Sharifi. 

Montpellier Danse, jusqu’au 3 juillet: https://www.montpellierdanse.com