Ils sont funambules, grimpeurs, circassiens… Bref, artistes de l’absolu. Rachid Ouramdane révèle la part chorégraphique de leurs Corps extrêmes

Ann Raber Cocheril est grimpeuse de haut niveau et franchit des centaines de mètres à la verticale, négociant chaque mouvement avec la falaise. Sous ses pieds, un vide vertigineux, dans les Gorges du Verdon ou ailleurs. Nathan Paulin est un highliner : vedette mondiale, record mondial. Un funambule dont on pourrait dire qu’il habite le vide. Sous ses pieds, la minceur d’une corde. Autour de lui, le ciel et des paysages à couper le souffle. Le vent, les oiseaux… Aller sur un plateau de théâtre, petit cube noir à l’éclairage artificiel, ne leur serait sans doute jamais venu à l’esprit. Par contre, Rachid Ouramdane n’y a rien vu d’étrange. « Tout est parti de l’intérêt que je nourris depuis des années pour les gens des sports extrêmes qui font des choses assez vertigineuses dans la nature. Après tout, j’ai grandi dans les Alpes où j’ai souvent rencontré des personnes qui font des choses hors du commun, qui mettent en jeu leurs corps dans la nature. » Comme chorégraphe, il avait souvent mis en scène et en mouvement des personnes ayant développé des mouvements particuliers par nécessité physique ou psychique : « J’essaie souvent de voir ce qu’il y a d’essentiel dans un geste. » Surtout quand celui-ci devient une question de survie. Aussi a-t-il travaillé avec des victimes d’actes de torture (Des témoins ordinaires) ou des enfants migrants isolés (Franchir la nuit). Aborder ces conditions extrêmes lui permet de toucher à la vérité des êtres. 

L’idée de Corps extrêmes est née au cours du travail sur Möbius, pièce créée avec les acrobates du collectif circassien XY. On en retrouve ici une partie, face aux deux sportifs de l’extrême. « J’avais envie de faire un spectacle sur les chorégraphies aériennes, en réunissant des gens qui sont tout le temps dans l’altitude », dit Ouramdane. Les traversées aériennes de Corps extrêmes narguent les ballettomanes qui jubilent à l’envol furtif d’un grand jeté. Mais c’est autre chose qui le motive : « On croit souvent que ces sportifs sont un peu foufous ou suicidaires. Mais ils se mettent à l’écoute de tout ce qui les entoure et il y a chez eux toujours une philosophie profonde et des questionnements essentiels. » Sports extrêmes, fusion extrême : « Pour quelqu’un qui marche sur un fil à cents mètres d’altitude, le vent n’est pas juste quelque chose qui donne froid, mais il va s’y appuyer. Quelqu’un qui grimpe va scanner la roche et tout ce qui l’entoure et développer une qualité du toucher absolument unique. » Leur écoute totale et la qualité chorégraphique de leurs gestes se font sentir sur le plateau, face aux acrobates qui travaillent dans le même esprit de solidarité et d’humilité. Chez les uns comme chez les autres, il en va de leur santé. Mais l’escalade et le highline sont des pratiques solitaires. Comment transmettre les sensations intimes et philosophies de vie au public ? Comme souvent, Ouramdane introduit une dimension documentaire dans l’œuvre chorégraphique, par la voix et par l’image. Le mur d’escalade blanc servant de surface de projection, la scène se transforme en paysage. Et le vertige fut…

Corps extrêmes de Rachid Ouramdane. Chaillot Théâtre national de la Danse. Du 16 au 24 juin

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