Emma Carenini signe un essai sur le soleil passionnant et érudit. 

Davantage qu’un essai, le premier livre d’Emma Carenini est un companion book, comme disent les Anglo-Saxons: tout à la fois manuel, répertoire et reader’s digest, c’est le vade-mecum dont on rêvait sur le soleil. Elle aborde l’astre sur toutes les coutures, citations à l’appui, sous l’égide d’Albert Camus, le plus célèbre interprète d’O sole mio, le rival de ce « buveur de soleil » qu’était le poète grec Odysséas Elýtis.

Depuis l’aurore des temps, les systèmes religieux, politiques et esthétiques s’articulent autour du soleil. Les cultes primitifs, héliophiles, le divinisaient dans leur cosmologie. Pour les Égyptiens, il représentait le mouvement et incarnait la vie, avant que ne s’impose la vision héliocentrique des Grecs. Le syncrétisme de l’empereur Aurélien, qui emprunta son Sol Invictus au mithraïsme, lui assurait « une filiation astrale et divine, supérieure à celle des dieux classiques ». Quant à l’architecture, son principal enjeu, depuis Vitruve, est de maîtriser et de s’approprier l’ensoleillement.

Instructif, sur le plan historique et philosophique, cet essai embrasse aussi bien les cultes héliotropes que l’héliothérapie et l’énergie solaire. Un chapitre passionnant sur les utopies, telles que l’Héliopolis d’Aristonicos et la Cité du Soleil de Tommaso Campanella, nous amène à l’idéologie du plein air. Le naturisme, au début du xxe siècle, était l’âge d’or des sanatoriums et des solariums ; le théoricien suisse Arnold Rikli, héraut de l’hygiénisme, prônait les bains de soleil pour soigner la tuberculose. Au ve siècle av. J.-C., Hérodote et Hippocrate affirmaient déjà que la santé est liée au climat, qui a une même incidence sur les lois et les sports.

Selon Emma Carenini, l’apparition de l’agriculture explique l’omniprésence du soleil dans les religions. Objet de sensation, de contemplation et de communion, le soleil, tantôt sain, tantôt assassin, donna lieu à une lutte permanente entre fertilité et aridité, civilisation et barbarie. L’astre est fédérateur, égalitaire et non élitiste : « Il sert à impressionner les sens et à magnifier la liturgie, mais aussi à renforcer l’unité entre les peuples et les individus. » Le soleil est aussi un luxe, le modèle de la « vie excellente », méditerranéenne, l’idéal des sybarites.

Partisane de la Pensée de midi chère à Nietzsche, Emma Carenini fait l’éloge du temple grec où règnent les trois éléments qui « enveloppent tout ce qu’un penseur peut désirer et exiger de lui-même »: la grandeur, le calme et la lumière du soleil, « la grande trinité de la joie », « où tout ce qui est terrestre arrive à se transfigurer ».

À force d’être didactique, on court le risque de transformer le soleil en tarte à la crème. Outre quelques lapalissades, Soleil foisonne en conjonctions de coordination qui sentent le cours magistral à plein nez. Pour l’en débarrasser, l’auteure (ou son éditeur) aurait pu en secouer les épreuves comme un tapis avant de les donner à l’imprimeur. Si l’on excepte ces scories, bien excusables, ce coup d’essai prometteur laisse augurer la philosophie radieuse que cette jeune agrégée enseignera à ses heureux élèves.

Soleil: Mythes, histoire et sociétés. Emma Carenini. Essai. Le Pommier. 202 p., 20 €