On retrouve avec délection et délicatesse le troisième volet de la romancière Aki Shimazaki, No-no-yuri. Une merveille.

L’œuvre arborescente de Aki Shimazaki est aussi envoûtante que vertigineuse. La japonaise installée à Montréal cisèle chaque volume de ses pentalogies écrites en français. Après Le poids des secretsAu cœur de Yamato et L’ombre du chardon, la voici qui nous revient avec le troisième volet d’un nouveau cycle qui ne porte pas encore de titre générique. Suzuran et Sémi nous ont déjà permis de découvrir une famille japonaise avec ses secrets et ses différences harmoniques. Une famille composée d’un père et d’une mère, de leurs deux filles et de leur fils. 

L’ouverture était axée sur le destin de l’aînée, Anzu. Une brillante et discrète céramiste, divorcée et mère d’un garçon, qui pratique son art dans sa ville natale au bord de la mer du Japon sans le moins du monde envisager de se remarier. Autour d’Anzou, il y a ses parents vieillissants dont on pourrait croire que la route n’a jamais dévié et sa sœur cadette, Kyôko, son exacte opposée. Une femme, décidée et séductrice, nullement intéressée par un quelquonque mariage. Les parents d’Anzu et de Kyôko, Tetsuo et Fujiko, ont ensuite été au cœur de Sémi, où la maladie d’Alzheimer joue un rôle de premier plan et amène à des révélations intenses.

No-no-yuri est aujourd’hui dédié à la figure complexe de Kyôko. L’immense force d’Aki Shimazaki réside à nouveau dans son art de la construction. Sa manière de faire avancer le récit tout en l’éclairant à chaque fois de manière différente. Son écriture est limpide et précise. Les lecteurs n’ayant pas encore eu connaissance des deux premiers titres peuvent sans hésiter plonger dans le troisième et rattraper ensuite leur retard. Les fidèles amateurs d’Aki Shimazaki, eux, retrouveront des êtres qui leurs sont familiers et dont ils partagent déjà les questionnements. Secrétaire de gestion à Tokyo pour une compagnie commerciale américaine spécialisée dans les cosmétiques, Kyôko a trente-cinq ans. Née un 1er mai, cette femme magnétique dotée d’un physique spectaculaire a toujours eu des amants dont elle se lasse rapidement. Des hommes qu’elle préfère choisir mariés pour éviter l’attachement. Le dernier en date était un ingénieur informaticien prêt à divorcer pour elle. Mais Kyôko tient plus que tout à son indépendance. Elle prétend avoir juste besoin d’un compagnon élégamment habillé avec qui passer « quelques heures agréables, idéalement une fois par semaine ». Il faut dire qu’elle n’a jamais été amoureuse de personne et qu’elle a toujours eu peur d’être trompée. Si Anzu s’épanouit dans son art, Kyôko n’aime rien tant que voyager et se cultiver en buvant de bons vins. La province dont elle est issue l’ennuie et le traintrain d’Anzu lui semble inconcevable… Aki Shimazaki vous attrape et vous fait vibrer une fois encore. Il va être bien difficile d’attendre les deux prochains chapitres d’une fresque de très haut niveau.

Aki Shimazaki, No-no-yuri, Actes Sud, 170p., 16, 50 €.