Une rétrospective quasi-intégrale de sa filmographie à la Cinémathèque de Toulouse permet de revenir sur l’un des metteurs en scène les plus virtuoses d’Hollywood : Brian de Palma.

Cinéphile et cinéphage, hitchcockien, fanatique de l’âge d’or du cinéma américain, artisan du Nouvel Hollywood, maître des retournements paranoïque, manipulateur de genres, tous les qualificatifs sont bons pour définir le cinéaste. Nombre de ses films s’ouvrent sur une scène de douche, lascive dans Pulsions (1980), en groupe dans Blow out (1981) et horrifique dans Carrie(1976) où elle vire au viol symbolique de la virginale héroïne. Cette scène est d’évidence un décalque de la célébrissime douche hitchcockienne où Janet Leigh rencontre un couteau de boucher et disparaît de Psychose — le temps d’un fondu enchaîné sur un œil-spirale devenu bonde. Loin d’être un simple clin d’œil cinéphilique ou une simple révérence gratuite au maître du suspense ou encore — comme on le lui a tant reproché lorsqu’il a refait son Vertigo avec Obsession (1976) et son Blowup avec Blow out — un pillage maladif, la mise en scène de de Palma permet avant tout de questionner le dédoublement d’une image que l’on copie. Cette réappropriation, de reprise de l’original s’offre tel un geste politique. Et le style même du cinéaste participe d’une forte remise en cause de l’image et du son en tant que médias. Ses cadrages alambiqués, ses mouvements d’appareil tel l’inénarrable traveling circulaire ou ses fortes plongées et contreplongées, son usage du split screen en témoignent, bien plus qu’une simple et un peu vaine recherche formelle, il s’agit avant tout pour de Palma d’interroger l’image. En la multipliant, il dévoile celle qui manipule, ment, trahit. Dans la vision kaléidoscopique de Carrie, dans un monde soudain fractionné et un son bégayant, elle peut se persuader que tous se sont ligués contre elle. Sa subjectivité efface tout accès au réel, les phrases lancinantes l’enferment dans son esprit malade, paranoïaque. Esprit qui renvoie à celui d’une Amérique écrasée par la représentation de la violence, une Amérique apeurée par ses propres démons, une Amérique qui ne voit plus la manipulation à l’œuvre, hantée — comme toute la génération du Nouvel Hollywood et après — par les vingt-six secondes du Zapruder Film, tout autant que par les stigmates de la guerre du Vietnam (Outrages, 1989) puis celle en Irak (Redacted, 2007). Enfin, on pourrait dire que l’ambiguïté de son cinéma naît du fait que le faux et le vrai se confondent bien souvent ajoutant à la confusion. C’est le cas dans Blow out où le cri parfait pour doubler l’actrice terrifiée du film se révèle être l’ultime cri de la petite amie assassinée, mais aussi dans le songe final d’une image publicitaire dans Carlito’s way (L’Impasse, 1993) dénonçant un paradis à la fois illusoire et réel, ou encore dans la doublure-copie d’une épouse revenue d’entre les morts (Obsession) que le faux-ami vrai-traître a métamorphosée mais qui est bien la vraie fille du protagoniste. Les faux-semblants et déguisements sont aussi légion dans un monde où tout se dédouble sans cesse et où le faux finit par dire le vrai.

Rétrospective quasi-intégrale Brian De Palma, La Cinémathèque de Toulouse du 27 mai au 2 juillet 2022.