Eran Kolirin signe avec Et il y eut un matin, un film très fin sur le corps politique, sur fond de conflit israélo-palestinien. En salles mercredi 13 avril.

Après La Visite de la fanfare (prix du jury Un certain regard à Cannes en 2007), The Exchange (2011) et Beyond the Mountains and the Hills (2015), Eran Kolirin poursuit son exploration des identités et des territoires à travers ce village d’Arabes israéliens brusquement encerclé par l’armée israélienne. Sans aucune explication, en une nuit, la frontière s’est fermée. Sami (Aleksei Bakri), son épouse, Mira (Juna Suleiman) et leur fils, vivent à Jérusalem. Venus célébrer les noces de son jeune frère, il se retrouve, avec femme et enfant, coincé dans la maison familiale. Prisonnier d’un lieu, d’une famille et de vieux amis qu’il a négligés, Sami voit son univers de citadin émancipé s’écrouler : viré de son boulot, impuissant devant les désirs de sa femme et de son père qui lui fait construire une maison pour l’avoir près de lui, il sent l’étau peu à peu se refermer. « Chacun sa prison » lui rétorque le travailleur clandestin qu’il essaie de mettre en garde contre les arrestations sauvages de certains villageois. Sami ment à tous comme à lui-même, sa réussite n’a rien d’éclatant, il trompe sa femme et refuse d’affronter son père. L’aveuglement des uns et des autres, les mensonges, les mascarades se condensent en une réplique lapidaire : « Tu clignes des yeux, tu ne vois donc qu’une part infime de la réalité. » Quant à l’absurdité de la situation, elle tient au manque d’informations des habitants qui ne peuvent plus quitter leur village et se retrouvent coupés du monde, littéralement en état de siège. Les épiceries n’étant plus réapprovisionnées, on assiste à des scènes aussi ubuesques que celles de la recherche de denrées alimentaires sur des étagères vides qui s’achèvent en coup de boule. Les pastèques trouvées dans un recoin de la boutique leur sont arrachées à Sami et son fils qui rentrent bredouilles, enfin presque… Les voleurs leur ont laissé une pauvre guirlande lumineuse dénuée d’intérêt. Le cinéaste n’hésite pas à accumuler les situations loufoques pour désamorcer le tragique par le rire et la danse. Fable politique s’il en est, Et il y eut un matin — dont le titre n’est pas sans évoquer La Guerre de Troie n’aura pas lieu et son antiphrase — dénonce une matinée qui fige dans le temps, qui arrête le village dans un processus de mort annoncée. Comment survivre sans vivres ? Comment quitter une terre encerclée par les armes, les militaires et les murailles qui s’élèvent peu à peu ? Deux camps s’affrontent : ceux qui cherchent à contester le siège et voudraient se révolter et ceux qui préfèrent désigner les Palestiniens sans papiers comme uniques responsables de cet état de fait car il faut bien un bouc émissaire. C’est sur un cadavre que les deux camps finissent par se rassembler. Unis pour chanter la liberté et faire tomber les murs dans ce lieu où même les colombes refusent de s’envoler. Mais peut-être que la question la plus intéressante soulevée par le film est ailleurs. « La politique est affaire de corps » affirme Eran Kolirin et c’est justement l’intimité des corps et la virilité qu’il ne cesse d’interroger ici. Le père accuse ses fils et les autres jeunes hommes du village de se soumettre à la violence militaire sans broncher. Sami cherche à se rassurer dans les bras d’une étrangère pendant que son jeune frère, incapable de partager la couche de la mariée, préfère dormir sur le canapé. Chaque soir, Abed fait la cour à une fenêtre aveugle, à jamais barricadée pour cet ex-mari jaloux, coupable d’avoir levé la main sur sa dulcinée qu’il devait partager avec les hommes du village. Les sphères intimes et publiques s’avèrent soumises aux mêmes terreurs. Le cinéaste met en scène des personnages en butte avec leurs certitudes qui cherchent un moyen de demeurer des hommes sans avoir recours aux poings ni aux kalachnikovs. Et c’est dans les plans serrés sur des visages tournés vers une possible liberté, dans des plans qui s’emparent de ces corps indociles que le film trouve toute sa puissance.

Et il y eut un matin d’Eran Kolirin, adapté du roman éponyme de Sayed Kashua, Pyramide Distibution. Sortie le 13 avril

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