Avec le rohmérien Contes du hasard et autres fantaisies, Ryusuke Hamaguchi persiste et signe.

Cela ne faisait aucun doute mais cela se confirme, le Japonais Ryusuke Hamaguchi est un immense cinéaste et sismographe de l’intime, supérieur à Hong Sang-soo aux yeux de votre serviteur. Après les remarquables Asako et Senses (films à épisodes, comme des séries), Drive my car avait mis d’accord tout le public cinéphile international par sa finesse psychologique et son ampleur. Contes du hasard et autres fantaisies est plus resserré, plus modeste, mais certainement pas plus mineur même s’il se joue en mode mineur, comme si Hamaguchi passait de la profusion romanesque d’un Desplechin à la pureté de trait d’un Rohmer. Ce nouveau film partage avec l’auteur de Ma Nuit chez Maud le goût des longues conversations très articulées et des croisements de lignes hasardeux. Qu’on en juge. Conte n° 1 : une jeune femme raconte à son amie qu’elle vient de tomber amoureuse, sans savoir que l’objet de son désir est l’homme qui vient juste de rompre… avec l’amie à qui elle se confie. Conte n° 2 : une étudiante lit à son prof de littérature (et star de l’édition) la nouvelle très sexuelle qu’elle vient d’écrire, essayant de le séduire par les mots. Désir sexuel et désir textuel peuvent-ils se croiser, voire fusionner ? Conte n° 3 : une femme croit reconnaître dans la rue une ancienne amie de lycée. Cette dernière l’invite à boire le thé et elles se rendent compte qu’il y a eu méprise, qu’elles ne se connaissent pas. Mais charmées mutuellement, elles décident de rejouer leur rencontre comme si elles se connaissaient.

Hamaguchi joue ici de tous les arpèges de la rencontre (qu’elle soit amoureuse, sexuelle, amicale, ou un peu des trois), ordonnant une ronde où interviennent le désir, la séduction, la tromperie, la cruauté, la trahison, la méprise, le quiproquo, et où les mots peuvent fluidifier ou au contraire enrayer la machine relationnelle. Quels que soient les affects mis en jeu, Hamaguchi ne juge jamais ses protagonistes, les filmant tous avec la même attention, la même bienveillance qui est celle de tout être curieux de la nature humaine et de ses complexités. Si les rapports humains et amoureux vus par Hamaguchi sont tortueux, compliqués, plein de pièges, trompe-l’œil et détours, l’art d’observation du cinéaste se fait lui de plus en plus simple, épuré, cristallin. Chaque cadre est admirablement composé, chaque durée de scène est ajustée comme une cuisson parfaite des sentiments pour en extraire tout le suc, tout le jus. Le film fourmille de trouvailles simplissimes comme ces escaliers roulants du conte n° 3 que l’on remonte ou redescend comme le temps. Hamaguchi est servi par des actrices et acteurs superbes, habitant les plans de tous leurs corps, leurs visages, leur voix, leurs émotions. Comme chez Rohmer, les affects passent d’abord par la parole, la pensée, les mots, l’inflexion d’une voix, l’érotisme subtil d’un geste ou d’un regard. Avant d’être charnel, l’amour et le désir sont des cosa mentale semble nous dire ce nouveau bijou délicatement taillé dans le plus pur minerai humain.

Contes du hasard et autres fantaisies de Ryusuke Hamaguchi. Avec Kotone Furukawa, Fusako Urabe…Diaphana Distribution

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