Le Roman de Fauvel, création de Peter Sellars et Benjamin Bagby au Châtelet, nous plonge dans les mystères de la musique médiévale. 

Fauvel ne dort jamais. Peut-être est-ce l’idée qui nous poursuit à la sortie de ce si singulier spectacle présenté au Châtelet, Le Roman de Fauvel. Fauvel ? Le nom de la corruption du monde dans le manuscrit du XIVe siècle qui a inspiré Sellars et Bagby : monstre à figure d’âne prenant le pouvoir en France, dont le nom naît de son acronyme, Fausseté, Avarice, Vanité, Envie…Fauvel a été inspiré par les fameux « rois maudits », qui ont dégoûté à tel point la jeunesse intellectuelle de leur temps, qu’une poignée a écrit ce  « Roman de Fauvel », œuvre mixte de littérature et de musique, somptueuse et subversive. Il fallut donc attendre sept siècles pour qu’un metteur en scène américain, Peter Sellars, un musicien américain spécialiste du Moyen-Âge, Benjamin Bagby et une auteure américaine proche de Sellars, Alice Goodman, décident de le mettre en scène. Le pari est audacieux : placer sur scène sept chanteuses de l’ensemble Sequentia, sans orchestre en fosse. Une interprétation a cappella de cette musique ancienne, une des premières à maîtriser la polyphonie. 

Fauvel aujourd’hui

Lorsque nous l’avions rencontré avant le spectacle, Peter Sellars expliquait qu’il avait renoncé à adapter littéralement le manuscrit, mais qu’il l’abordait avec la liberté que suggérait cette œuvre hybride, à ses yeux extrêmement contemporaine. 

Le metteur en scène dont on connaît l’imaginaire mystique a eu une riche idée : placer les sept chanteuses devant un immense écran, représentant les forêts californiennes en flammes. Images brutes, silencieuses, de troncs décharnés, d’animaux en fuite, de la fougue des brasiers. Et devant ces images documentaires, se dessinent les ombres noires des chanteuses qui adoptent les gestes expressifs chers à Peter Sellars, incarnant l’urgence de ce qui est en train d’être raconté. La musique, passionnante par ses modulations, ses raffinements, ses nuances, semble comme écrite pour ces images qui elles aussi racontent les différentes modalités de la catastrophe. Les chanteuses de Sequentia, par leur splendide interprétation et leur sens dramaturgique, offrent une profondeur à ce spectacle qui peut faire penser aux Mystères médiévaux, tant il se prête au recueillement. Le texte de l’époque se révèle lui aussi d’une grande beauté : l’évocation de Dame Fortune outragée par l’action des hommes ou le chant des « arlequines » en sont des moments frappants. 

Seul regret du spectacle, les intermèdes écrits par Alice Goodman qui a sans doute voulu s’approprier le ton satirique et catastrophiste du Roman de Fauvel, mais qui, faute de dimension littéraire, ne parvient qu’à une naïveté grotesque, une diatribe politique sans véritable objet. Un texte qui tranche avec la grâce de ceux écrits sept siècles plus tôt, et qui auraient largement suffit à nous évoquer l’état du monde d’aujourd’hui, et ce sentiment apocalyptique de la menace de Fauvel.

Roman de Fauvel, spectacle de Peter Sellars et Benjamin Bagby, Théâtre du Châtelet, jusqu’au 26 mars. www.chatelet.com