Récit initiatique, Petite nature rappelle, à rebours des affaires de pédophilie, que le désir est parfois du côté de l’enfant. Deuxième film fort et subtil de Samuel Theis. En salles mercredi 9 mars.

Peu à peu, après le moment MeToo, après l’acmé des affaires Haenel-Ruggia, Springora-Matzneff ou Kouchner-Duhamel, la fumée médiatico-polémique retombe et on compte les points entre les réelles avancées sociétales et la singularité irréductible d’histoires individuelles qui ne correspondent pas toutes à la doxa dominante. Comme la littérature, le cinéma est toujours du côté de l’unicité d’une histoire, de la singularité de tel ou tel personnage, privilégiant la complexité des comportements humains aux statistiques des grandes généralités globalisantes. Dans Petite nature, excellent deuxième film de Samuel Theis (il avait co-réalisé Party girl avec Marie Amachoukeli et Claire Burger), le réalisateur s’attache à Johnny, gamin androgyne de dix ans à la belle chevelure blonde. Un gosse secret, introverti, qui aime lire, a soif d’apprendre. Dans les quartiers populaires de Forbach, une telle personnalité ne passe pas inaperçue et même sa mère trouve qu’il manque de virilité, parce que dans les cités, il faut savoir se défendre. Le seul véritable allié de Johnny, le seul qui saura vraiment l’écouter et le regarder, c’est son instituteur, monsieur Adamski, un homme élégant, doux, cultivé, érudit, qui s’exprime bien, tout le contraire du père de Johnny. Adamski s’attache à Johnny comme tout enseignant qui sent un élève réceptif. La réciproque est vraie, mais dans une configuration plus ambiguë : Johnny éprouve pour son prof des sentiments indéfinissables à dix ans, mélange d’attirance amoureuse, d’envie d’élévation sociale et de fascination pour l’adulte qui lui ouvre l’accès à un autre monde sensible. Dans cette relation, le désir n’est donc pas du côté où on l’attend, et partant, le film ne correspond pas du tout au schéma des différentes affaires médiatiques évoquées plus haut.

Samuel Theis traite cette histoire potentiellement « incorrecte » sans le moindre esprit sensationnaliste ou polémique, avec beaucoup de tact, de finesse, de justesse, un sens du tempo patient d’une narration et d’une cristallisation amoureuse, un rapport fort aux lieux (le réalisateur est lui-même originaire de Forbach) et aux acteurs filmés : aux côtés de l’excellent Antoine Reinartz (Adamski), Johnny et sa mère sont joués par des inconnus absolument remarquables (Aliocha Reinert, tout en grâce et fragilité, et Mélissa Olexa, une bombe de féminité virile et d’énergie en dreadlocks). Le recours à des comédiens amateurs ou débutants est certes devenu très courant dans le cinéma contemporain mais donne souvent des résultats formidables – il suffit de penser aux Dardenne, à Kéchiche, ou au récent OuistrehamPetite nature s’inscrit dans cette belle lignée, déployant un même réalisme social puissant mis au service d’une histoire intimiste qui défie les attendus dominants : Johnny accomplit simplement la tâche ardue qui consiste à grandir, et si ce processus de construction de soi-même n’est pas étranger à divers paramètres sociologiques, il est aussi et avant tout une aventure unique et singulière, ce que montre ce film avec force et subtilité.

Petite nature de Samuel Theis, avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa, Izia Higelin, Ad Vitam. Sortie le mercredi 9 mars.

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