Excellent documentaire de Laure Portier, Soy libre, film familial très à vif. En salles mercredi 9 mars.

Présenté lors du dernier festival de Cannes, Soy libre, le documentaire de Laure Portier tient quasiment du double portrait, celui de ce frère, Arnaud, que la cinéaste suit pas à pas durant quinze ans — de 2005 à 2021 —, mais aussi le sien en creux qui dessine une trajectoire bien différente puisqu’elle est l’aînée de la fratrie. À l’aînée, dans cette ZUP des Deux-Sèvres, on donne la chance de faire des études, de quitter la famille pour s’épanouir dans une école de cinéma bruxelloise. Le cadet, plus jeune, se retrouve livré à la violence maternelle, aux crises de nerfs, aux dépressions et tentatives de suicide d’une mère quittée par un père peu enclin à jouer son rôle. Filmant au plus près du corps du frère, collé à sa nuque, la cinéaste s’empare avec tendresse de ce corps qui danse, qui boxe, qui voyage et se réapproprie l’espace après les enfermements multiples. Arnaud se raconte, souvent de dos, en mouvements, il évite d’affronter la caméra. Lucide, il décrit le manque de repères, les ongles de sa mère plantés dans son bras, les cris, les familles d’accueil qui succèdent aux foyers puis les séjours nombreux en maison de redressement. La délinquance pour seul horizon. Aucun misérabilisme dans ce travail sur l’intime, juste des faits bruts. Laure questionne son frère, cherche des explications. Lui tente de se justifier, puis se rétracte : « Y en a beaucoup qui n’ont pas eu de père, et ils ne sont pas tous devenus violents. » Cette parole qui se cherche nous renvoie aussi dans les cordes, nous spectateurs, lorsqu’il se moque des questions de sa sœur et anticipe les propos réflexifs à son égard. Que vont dire les « baba cools de la culture » ? Il caricature avec malice ceux qui le rejettent : « Toute cette violence, c’est intéressant… On sent qu’il ne vole pas haut, mais il a la rage… » Le miroir qu’il nous tend révèle le caractère périlleux de tout documentaire-enquête sur les siens, les fractures familiales, les clichés inhérents au parcours du délinquant et les fausses tentatives d’explication des effets et des causes. Peut-être pointe-t-il du doigt l’inanité du projet de sa sœur, que cherche-t-elle à prouver au fond ? Que cette vie vaut la peine d’être vécue, répond-elle, quand, Arnaud a l’intelligence de lui opposer qu’elle n’a pas à le juger, ni elle ni personne, que c’est sa vie et qu’il veut la vivre pleinement. Alors le documentaire peut bifurquer, échapper aux conventions du genre, comme Arnaud glisse entre les doigts de sa cinéaste de sœur. Subitement, il disparaît à Lima après avoir donné rendez-vous à Laure, elle se filme laissant un message sur son répondeur dans une chambre d’hôtel vide. Soy libre se fait le récit d’une conquête de la liberté pour Arnaud. Loin de la France et de ces parents qui l’ont abandonné mais surtout loin de la langue maternelle, la langue de la blessure, du rejet et de la trahison, la langue de cette mère qui n’hésite pas à le « balancer » à la police pour qu’il rejoigne un énième foyer, la langue dans laquelle il n’envisage plus de dire l’amour et de s’inventer une nouvelle famille. Une famille qui pourra tenir sur ses pieds, comme son fils, solide et accueillante. A Alicante puis à Lima, il se reconstruit dans une langue étrangère, fonde sa propre famille, redessine son histoire et en devient le maître. L’auteur pourrait-on dire puisque de nombreux plans s’attardent sur les dessins d’Arnaud comme autant de dévoilements intimes, autant de récits de soi. Une œuvre de filiation libre et inspirée.

Soy libre Laure Portier, distributeur Les Alchimistes, sortie le 9 mars

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