Images d’un post-anthropocène imaginaire et chants millénaires : Kantus 4-Extinct Species revisite le Système Castafiore au Théâtre National de Chaillot.

Difficile de trouver, dans le foisonnement du paysage chorégraphique, une compagnie plus singulière que Système Castafiore. Au fil de trois décennies de créations, la chorégraphe Marcia Barcellos et l’artiste visuel Karl Biscuit ont forgé un univers fantasque et fantaisiste qui jongle allègrement avec les codes de la science-fiction, du conte, de la peinture, de l’architecture, du design… Sans oublier la musique, la chorégraphe étant une ancienne chanteuse et inventeuse de la scène rock. Est-ce pour cela que dans leurs spectacles récents, la dimension musicale suivait des voies et des imaginaires de plus en plus singuliers ? L’éclectisme bat des records dans Kantus 4-Xtinct Species, créé au dernier Festival de Danse de Cannes. La touche scientifique, voire historisante du titre n’est pas fortuite. Barcellos et Biscuit s’amusent depuis longtemps à imaginer un monde dans lequel nous autres homo sapiens auraient disparu, au profit de nouvelles créatures indéfinissables telles que les deux les affectionnent. Leur but avoué : réenchanter le monde. Aussi y distingue-t-on assez peu l’humain de l’animal, l’apesanteur de la gravité, la présence du mouvement, le passé du futur… 

C’est donc depuis un avenir lointain qu’ils s’adressent à nous, tels des Jules Verne explorant des contrées incertaines et imaginaires qui seraient peuplées de cerfs dansants, de primates virevoltants, d’insectes de taille humaine, de géants poilus affublés de masques à gaz… Et il n’est guère étonnant, au vu de leur fascination pour l’indéfinissable, qu’on y croise aussi une sorte de blob, cette cellule-éponge ni animal ni plante ni champignon. Toutes ces créatures si intrigantes et le plus souvent attendrissantes, sortent artistiquement des ateliers de Christian Burle, le plus plasticien des costumiers et inséparable pour l’identité visuelle de Système Castafiore. Car cette identité existe alors qu’elle ne cesse d’évoluer et de nous surprendre. Une exposition leur était même consacrée à Cannes, autour de la création de Kantus 4-Extinct Species, retraçant leur parcours par les costumes sculpturaux qui sont, plus que toute autre chose, la marque de fabrique de leur univers. 

Mais on aurait tort de s’arrêter à ces images, aussi envoûtantes soient-elles. Car la nouvelle création avec ses « danses de rituels » (Biscuit) joue la carte de la parité (ou presque), entre cinq danseurs et quatre chanteurs. Ces derniers – soprano, contre-ténor, ténor et basse – interprètent, entre autres polyphonies, des adaptations de chants traditionnels islandais et amazoniens qui nous rappellent une humanité apparemment disparue. Les chanteurs cependant ne se transforment pas en animaux incertains, mais se présentent en dignitaires de nos sociétés traditionnelles, affublés de hauts-de-forme, médailles et autres décorations, souvenirs d’un passé où l’humanité commença à provoquer à la catastrophe climatique, par manque d’intérêt pour la faune et la flore de sa planète. Dans leur beauté bizarroïde, les créations de Barcellos, Biscuit et Burle appellent à une spiritualité réinventée, pour ne pas passer à côté des siècles à venir. 

Kantus 4-Extinct Species, de Système Castafiore, Aix-en-Provence, Pavillon Noir le 4 mars, Chaillot – Théâtre national de la danse du 9 au 12 mars

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