Mélangeant ses souvenirs d’apprentie-actrice et la vie de ses ascendants sous l’Occupation, Sandrine Kiberlain signe Une Jeune fille qui va bien, son premier film, subtil et déchirant. En salles mercredi 26 janvier.

Dans son compte-rendu cannois, un critique anglo-saxon avait écrit que la réalisatrice de Une Jeune fille qui va bien était inconséquente car on ne voyait ni uniforme allemand ni drapeau à croix gammée dans ce film situé à Paris en 1942. Dans sa grande bêtise, ce critique adressait un bel hommage en creux à l’un des aspects remarquables du travail de Sandrine Kiberlain : son parti pris de suggestion dans la reconstitution historique. Pour son premier long-métrage derrière la caméra, l’actrice-réalisatrice a pensé à juste raison qu’il n’était pas nécessaire de recourir au lourd arsenal décoratif de « Paris sous l’Occupation » déjà mille fois vu et revu. Elle a préféré opter pour de petites touches discrètes et progressives, et pour le point de vue intime d’une famille juive. Pendant un quart d’heure, on pourrait même penser que le film se passe aujourd’hui. Et puis, on parle de tampon « juif » à inscrire sur les papiers d’identité, puis de postes radio qu’il faut déposer au commissariat, puis de la définition du mot « peur »… Ainsi, à l’instar de cette famille, le spectateur ressent le passage d’une existence normale à un contexte anormal, perçoit le resserrement progressif de l’étau antisémite. Contrairement à ce que pensait le critique anglais, Kiberlain a fait preuve d’une grande intelligence de cinéma et d’une confiance dans celle du spectateur en filmant les effets d’une politique ignoble plutôt que ses signes extérieurs superficiels. C’est aussi un choix politique et moral de sa part : le refus de donner une énième visibilité aux apparats du régime hitlérien.

L’absence de signes visuels de l’Occupation se justifie aussi pour une raison évidente : le film épouse le point de vue de la « jeune fille qui va bien ». Irène (la lumineuse Rebecca Marder), dix-neuf ans, vit dans les élans des filles de son âge : les cours de théâtre, l’amitié avec les copines, l’éveil des sens et de l’intérêt pour les garçons, l’énergie vitale face à l’avenir censé s’ouvrir en grand. Elle refuse de regarder le Mal en face, mais le ressent néanmoins, d’où ses fréquents évanouissements. Cette tension entre la pulsion de vie d’Irène et la pulsion de mort environnante fait la beauté déchirante de ce film où l’on perçoit des échos du Journald’Hélène Berr, du Gioconda de Nikos Kokantzis ou de la personnalité solaire de Marceline Loridan (qui donne ici son prénom au personnage de la grand-mère). Beauté qui culmine dans un final à couper le souffle d’émotion et de sobriété dans la mise en scène : un pan de manteau en cuir et c’est une existence à l’orée de son possible accomplissement qui bascule dans le noir.

Porté par des actrices et acteurs magnifiques, Une Jeune fille qui va bien mélange des traces de l’autobiographie de Sandrine Kiberlain (les cours d’art dramatique) et de la biographie réinventée de ses ascendants (l’Occupation) : une réussite superbe et délicate, un film qui va bien.

Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain. Avec Rebecca Marder, André Marcon, Antony Bajon, India Hair, Françoise Widhoff, Florence Viala…Ad Vitam, sortie le 26 janvier 2022

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