Avec Memory box, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se livrent à une formidable archéologie historique, politique, mémorielle, intime, qui est aussi une réflexion sur les traces et les images. En salles mercredi 19 janvier.

Montréal, aujourd’hui, un jour d’hiver neigeux, Maïa et sa fille ado Alex reçoivent un paquet en provenance de Beyrouth. C’est un colis piégé (ou salvateur ?). Il contient non pas une bombe, ou plutôt si, mais une bombe symbolique, qu’on pourrait appeler aussi le retour du refoulé : des cahiers, photos et cassettes audio, que Maia alors âgée de treize à dix-huit ans avait envoyé à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre communautaire qui déchirait le Liban. Bien installée dans sa vie canadienne, Maia refuse de remettre le nez dans ses archives alors qu’Alex, bien sûr, veut tout savoir. 

Un peu comme les Juifs, les Libanais ont connu un trou noir traumatique dans leur histoire nationale et familiale, cette guerre civile qui a sévi de 1975 à 1990 et fait entre quinze mille et vingt-cinq mille victimes civiles (pour une population de six millions). En compagnie de leur jeune héroïne fictive Alex, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se livrent dans ce film à un formidable travail d’archéologie qui se décline sur tous les plans : familial, historique, esthétique. Ce que recherche Alex, en pelant le passé couche après couche, c’est l’histoire de son pays d’origine, mais aussi celle de ses ascendants et les positions qu’ils ont tenues durant ce conflit – à l’image des Allemands et Français de l’après-guerre qui ont voulu savoir si leurs parents furent collabos ou résistants. On l’a dit, cette plongée dans le passé recèle aussi un volet esthétique. Il faut rappeler que Hadjithomas et Joreige ont consacré nombre de leur travaux (films, expos, installations…) à une réflexion sur les traces par les images et il faut savoir que les cahiers et cassettes de Maïa sont ceux, réels, de Joana. On comprend donc bien que Memory box mêle la fiction avec des fragments de réel les plus intimes qui soient, et la matière même du film incarne cette « impureté », cette polysémie de registres et de sources. Construit sur de nombreux flashbacks qui s’emboîtent tels des poupées russes, Memory box est constitué d’images de fiction (avec acteurs et dialogues écrits) et d’images documentaires, d’archives réelles et d’archives reconstituées ou fabriquées par le couple. Il en résulte un film d’une passionnante complexité, une quête historique, mémorielle, politique et intime qui est aussi et toujours en même temps un métafilm, un travail cinématographique qui secrète sa propre réflexion sur ses conditions de fabrication et le sens qu’elles portent. Cette tâche archéologique ardue, difficile pour les protagonistes et notamment pour Maïa, n’efface évidemment pas la guerre et les blessures infligées, mais comme un travail psychanalytique, elle permet de dire le passé, de le comprendre, de le transcender, éventuellement de se réconcilier avec soi et les autres, d’aller de l’avant plus légèrement. Et de parvenir vers la fin du film à une grande puissance émotionnelle. Memory box est aussi magnifique qu’utile (et pas seulement pour les spectateurs qui auraient été affectés par la guerre civile libanaise, cela va sans dire), un film dont l’intelligence, la force et la beauté sont encore plus émouvantes à la lumière de ce que vit le Liban depuis un an.

Memory box de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Haut et Court. En salles le 19 janvier.

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