C’est un magnifique portrait que brosse Pedro Costa dans Vitalina Varela, chant funèbre percé de lumière. En salles mercredi 12 janvier.

« Ici, il n’y a rien pour toi » : à peine le pied posé sur le sol froid et goudronné de l’aéroport lisboète, Vitalina Varela se voit refuser tout droit de cité. Les obsèques de son mari Joaquim – qui, non content de l’avoir abandonnée au Cap-Vert, ne lui aura jamais envoyé le billet d’avion sans cesse promis – ont eu lieu trois jours auparavant. C’est pourtant vrai qu’il n’y a rien pour elle dans ce monde balayé par le souffle glacial du purgatoire, rongé par la pauvreté, l’exil et le désespoir. La maison inachevée de son mari, amas confus de tôles et de briques, tient tant bien que mal au milieu d’un village des morts, bidonville dont les habitants, des ouvriers cap-verdiens accablés par la faim et la fatigue, ne sont plus que des silhouettes indécises. Leurs voix, leurs murmures et leurs gémissements forment un bruissement hostile et inquiétant autour de Vitalina.

Chaque plan du film de Pedro Costa creuse une esthétique ténébriste, où le noir le plus profond dispute le cadre aux dernières sources de résistance lumineuse, aux rarissimes flamboyances de couleur, comme si le soleil s’était retiré de l’univers. Les portes métalliques de l’église sont closes et son vicaire arpente cette terre désolée, à la recherche de la foi égarée : le royaume de Dieu est à l’arrêt. Alors que tout l’invite au renoncement, Vitalina Varela – son seul nom vaut talisman – s’acharne et investit la maison de son mari, fouillant les vestiges des virtualités passées, détachant minutieusement l’expérience sensible du monde de son expérience intime. Elle ne plie pas, se tient droite, le regard empli d’orgueil et de dignité, parfois envahi d’une colère doucereuse. Elle a attendu vingt-cinq ans et même la mort ne peut rien contre sa volonté.

Alors Vitalina déchire le voile et parle à Joaquim. De son abandon, de ses lâchetés, de ses mensonges. Mais c’est lorsqu’elle évoque l’autre maison, bâtie au Cap-Vert par leurs mains conjointes et leurs sueurs mélangées, cette maison aux fondations autrement plus solides, reposant sur le flanc d’une montagne, avec l’amour comme pierre angulaire, que la voix de Vitalina s’abandonne et se transforme en un chant lancinant. Pedro Costa matérialise alors au regard du spectateur la remémoration de ce paradis à jamais perdu. Ce plan éblouissant d’extase naturelle, ce plan solaire arraché à la nuit des temps, on pense l’avoir rêvé. Un deuxième surgira heureusement, dans lequel la jeune Vitalina, porteuse de lumière, règne sur le toit de sa maison comme sur un empire, couvant le monde de la bonté et de la douceur de son regard. Le cruel écart entre les deux âges, entre les deux maisons, se mesure à l’échelle de son invariable dignité et s’estime à la hauteur de sa grandeur d’âme – il n’est pas dit qu’on revoit un aussi beau personnage d’aussitôt. 

Vitalina Varela de Pedro Costa, en salles le 12 janvier, Survivance

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