Trente ans après sa création, l’œuvre ultime de Dominique Bagouet est reprise dans une version relookée par des interprètes historiques. 

Il était la bonne âme de la danse française. Ou plutôt, il l’est toujours. C’est comme si l’héritage de Dominique Bagouet (1951-1992) devenait chaque jour plus important, comme si on y voyait se croiser, parfois dans une seule œuvre, l’ADN d’un paysage chorégraphique devenu un  millefeuille. Fauché par le Sida, le grand inspirateur de la Nouvelle danse française des années 1980 n’est donc jamais tout à fait parti. L’association Les Carnets Bagouet, portée par d’anciens interprètes, documente depuis longtemps la vie et les créations du fondateur du festival Montpellier Danse, et accompagne quelques reconstructions de ses pièces à l’esprit si ludique et conquérant. Revoir aujourd’hui So Schnell, œuvre ultime et legs universel, permet de ressentir à la fois l’héritage, tout en rigueur et précision, de la danse américaine du XXe siècle et l’immense fraîcheur du geste chez Bagouet. Comme l’écrit Isabelle Ginot dans son ouvrage de référence sur Bagouet paru en 1999 (Dominique Bagouet, un labyrinthe dansé, édité au Centre National de la Danse), « le mouvement, dans So Schnell, conjugue des éléments variés ; sa nature composite s’affirme, reprenant par exemple le thème de la bande dessinée amorcé dans Jours étranges, pour inclure des éléments de pantomime (et de mimique) très stylisés, à l’intérieur d’une écriture complexe du plus pur style Bagouet de la première heure. » 

C’est l’ancienne interprète Catherine Legrand (assistée par Dominique Jégou) qui remonte aujourd’hui So Schnell dans une idée d’épure, en réduisant la palette des couleurs, révélant d’autant plus le travail sur le mouvement et l’espace. Et on comprend intuitivement que les célèbres pièces de Dominique Hervieu et José Montalvo avec leur gestuelle si rapide et facétieuse doivent beaucoup à l’esprit cartoonesque, libre et pourtant tiré au cordeau qui porte chaque instant de So Schnell, pièceque son créateur qualifia de « presque festive ». L’influence de Bagouet sur la danse française actuelle est aussi à reconnaître dans le fait que bon nombre des interprètes d’origine sont aujourd’hui des chorégraphes incontournables : Olivia Grandville qui dirige depuis ce début d’année le Centre Chorégraphique National de La Rochelle ; Michel Kelemenis, implanté à Marseille où il fonda Klap-Maison pour la danse ; Hélène Cathala, Sylvain Prunenec, Fabrice Ramalingom…

So Schnell (si rapidement) :  Le titre – en allemand dans le texte puisque la danse est accompagnée d’une cantate de Bach – renvoie au passage d’une vie qui s’écoule trop vite. La symbolique est d’autant plus frappante que l’on sait qu’en raison du VIH, à quarante ans à peine, Bagouet savait que sa fin était proche. Aussi il créa cette pièce en sachant qu’elle serait la dernière, posant un regard sur son œuvre en reprenant des éléments de ses créations antérieures. C’est donc tout Bagouet qui y défile, et même des souvenirs d’enfance, puisque Bach est mis en perspective par le bruit des machines d’une « petite entreprise textile accolée à la maison familiale », d’abord dirigée par le père, et plus tard par le frère de Bagouet. Il y a un fond de mélancolie derrière l’effervescence…

So Schnell de Dominique Bagouet, revu par Catherine Legrand. La Comédie de Clermont-Ferrand, les 11 et 12 janvier http://soschnell.org