Le metteur en scène-chorégraphe Vincent Thomasset interroge avec virtuosité notre rapport à l’image et à la fiction dans Transversari. L’épopée d’un être qui se met à incarner ce que lui projettent ses écrans. Rencontre. 

Vous adorez décaler notre perception de la scène. D’où cela vient-il ?
C’est une façon de troubler le rapport au réel en ne l’oubliant jamais. Vers onze ans, j’ai été marqué par la lecture de Treblinka, qui racontait la vie dans les camps de concentration et notamment la présence d’une fausse gare pour rassurer ceux qui arrivaient… Jusqu’alors je lisais des fictions, et cette lecture a créé un schisme. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a toujours eu jusqu’ici, dans mes spectacles, la nécessité d’observer les conditions d’émergence de la fiction.  

Ensemble, Ensemble travaille la question du langage qui circule indifféremment entre quatre interprètes. Ici, le texte laisse place à un vocabulaire de gestes et de mouvements, cette pièce marque-t-elle un tournant ? Transversari augure le début d’une nouvelle période. De 2007 à 2011, je n’ai produit que des performances, puis, de 2011 à 2019, des spectacles. Je les assume toutes, mais, avec le recul je m’aperçois que les processus de fabrication provenaient d’une démarche expérimentale avec, comme conséquence, la difficulté de pouvoir en parler facilement. Je souhaite aujourd’hui engager un travail dramaturgique qui permette au spectateur de traverser la pièce de part en part, avec les notions d’histoire et de personnage qui voient le jour. 

Transversari est la forme latine passive du verbe transversare (traverser) qui signifie «être traversé par». Laquelle de ces acceptions retenez-vous ici ?
Le titre de la pièce : être traversé par. Le personnage de Transversari est contraint par son environnement physique et social. À partir du moment où son corps devient réceptacle, il éprouve de nouvelles formes de désir, entrevoit la possibilité d’une forme d’accomplissement, de bonheur.  

Comment imaginez-vous le passage du corps spectateur au corps incarné ?
Le passage entre corps actif – celui qui incarne – et corps passif – celui qui regarde – peut opérer à tout moment, sans raison apparente. Le regard trace un lien entre ces deux états. C’est le corps qui parle, même si tous les rendez-vous, hormis la séquence finale, sont écrits. Ce personnage, son corps et ses états sont le résultat d’une rencontre entre les images qui nous entourent, les archétypes qu’elles charrient, et nos histoires respectives. Lorenzo et moi sommes très proches, nous nous connaissons depuis longtemps, ce personnage doit très certainement nous ressembler.

Le personnage qu’il interprète traverse les fictions et les personnages, travaille la question du genre et de l’identité. Cette démarche relève-t-elle d’un parti pris esthétique ou politique ?
Je n’opposerais pas ces deux notions, elles doivent pouvoir se rejoindre. Lorenzo a une plasticité très importante. Il est important, pour moi, de montrer que l’on peut avoir une forme de vie, d’ouverture et de désir qui défie les assignations. C’est un homme pris par certains standards, qui trouve une forme de salut en traversant des identités multiples. La vie se manifeste, la fiction s’incarne, c’est du spectacle vivant. 

Transversari de Vincent Thomasset

Au Carreau du Temple dans le cadre du Festival d’Automne, du 11 au 14 janvier

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