Très belle découverte que ce roman fitzgeraldien de l’italienne Eleonora Marangoni. Tout en douceur nostalgique.

Ex tenebris lux, disent les Genevois. Des ténèbres de ces dernières années sordides nous est venu Lux, le merveilleux roman d’Eleonora Marangoni, une jeune Romaine dont le talent nous éblouit et nous réjouit. Toutes les qualités qu’on attend d’un romancier, elle les maîtrise avec une aisance qui porte ombrage à tant d’écrivains contemporains, confinés, frustrés et prostrés dans leur lugubre galetas autofictif. Sur le plan narratif, dramaturgique, psychologique et poétique, Lux est une leçon magistrale qu’elle leur donne, digne des Strong Opinions de Vladimir Nabokov dont elle a hérité l’élégante et exigeante esthétique.

Et quelle prolifération de personnages excentriques, tous décrits avec l’acuité et la sensibilité que réclame le sujet même du livre, la nostalgie, déclinée avec autant de délicatesse que d’humour, à la faveur des trésors que la romancière nous offre : une île au sud de l’Italie, un hôtel délabré, enfoui dans une friche méditerranéenne et garni d’un bric-à-brac enchanteur. C’est autour de cette demeure imaginaire (« On avait l’impression de se trouver non pas dans un lieu, mais dans le souvenir d’un lieu ») que se déroule la trame, pareille à la somptueuse toile d’araignée d’une épeire diadème. Thomas G. Edwards, le protagoniste, trentenaire londonien à la feue mère italienne, exerce la profession de light designer. Son oncle, zio Valentino, « avant-gardiste rêveur », lui a légué l’hôtel Zelda, ainsi qu’une source d’eau thermale, un volcan endormi et dix-huit baobabs nains.

« Anglais dans les mots et italien dans les gestes », Thomas continue d’aimer à distance la femme de sa vie, Sophie Selwood, traductrice et aquarelliste à ses heures : sept ans après leur rupture, son souvenir vient le caresser de temps à autre, aux dépens d’Ottie, sa compagne du moment. Ni roi ni sujet, ce chevalier romantique est doté de la même aptitude aux analogies que l’auteure : « Il pouvait naturellement reconnaître quelqu’un dans les lignes d’un objet, attribuer aux couleurs ou aux êtres inanimés les qualités ou les défauts des personnes. »

Sans jamais verser dans la caricature, Eleonora Marangoni trace de savoureux portraits satiriques et met remarquablement en scène ses personnages tout en croisant ou en multipliant les points de vue. L’un des plus réussis, sur lequel elle s’attarde avec délectation, est un vieil écrivain milanais, Guglielmo Gandini, dont nous découvrons les carnets remplis de ses conquêtes féminines, entre autres « souvenirs postiches ». D’une certaine Rita, par exemple, il note : « Elle avait des épaules larges et maigres à la Charlène de Monaco, sans cette tristesse dans le regard. J’ai cessé de l’aimer un soir au dîner : je parlais, quand une mouche s’est posée sur ses lèvres. Elle ne s’est aperçue de rien. »

« Que voulons-nous oublier, si nous passons notre vie à nous souvenir ? » se demande Olivia, une jeune femme enceinte, sensible au charme de Thomas. De tout objet émane une lumière nostalgique. Telle est la clef du dénouement, comme on le découvrira si on a le bonheur de lire ce roman drôle et émouvant dont la portée lyrique tient du Guépard de Lampedusa.

 Lux, Eleonora Marangoni, Traduit de l’italien par Lise Caillat. Denoël. 304 p., 21 €