À la Colline, André Marcon se glisse délicieusement dans la peau d’Anne-Marie la Beauté, une actrice habituée aux seconds rôles. Avec ce personnage haut en couleur, plus habitué à l’ombre qu’à la lumière, Yasmina Reza offre au comédien un rôle en or. 

Anne-Marie la Beauté, c’est avant tout une histoire d’amitié. Depuis Une Pièce espagnole en 2004, Yasmina Réza et André Marcon en sont à leur cinquième collaboration. C’est dire que l’un et l’autre se connaissent, ont appris à éprouver leurs contours, leurs envies, leurs limites. En imaginant le portrait de cette comédienne qui a raté le coche, n’a pas su s’imposer sur scène, laissant d’autres plus ambitieuses prendre la lumière, Yasmina Reza n’avait d’autre interprète en tête qu’André Marcon. Pourquoi un homme pour incarner une femme ? Une lubie, certainement, un choix éclairé, assurément. 

Après des années dans l’ombre, Anne-Marie Mille, dite la beauté, retrouve les feux des projecteurs. Sa rivale de toujours, Gigi Fayolle, gloriole du cinéma et du théâtre, tombée dans l’oubli depuis longtemps, est décédée. L’occasion pour elle de répondre aux questions d’un ou d’une journaliste – le texte de Yasmina laisse place aux doutes – d’évoquer son métier de comédienne, la troupe de théâtre de cette petite ville du Nord, où elle a grandi, ses premiers grands rôles au théâtre de Clichy, sa place d’éternelle seconde, les rôles qui deviennent rares, les coulisses qui l’avalent, la vie d’épouse et de mère qui devient banale loin des planches. Sans amertume, sans regrets non plus, cette vieille dame, aux manières désuètes, raconte, avec douceur, fièvre et un brin de dérision, matinée de tendresse, les mœurs légères de sa bonne amie, son existence facile, autant que sa vie rangée des voitures, bien terne. 

Pas méchante pour un sou, le verbe haut, la faconde volubile, malicieuse, parfois corrosive, Anne-Marie La beauté esquisse à travers ses souvenirs, le portrait d’une époque. Commune autant qu’hors-norme, elle se fait un nid dans l’histoire du théâtre, pas la grande bien sûr, mais la toute petite, l’utile, la nécessaire, la quotidienne. 

Vêtu d’une nuisette, juste maquillé ce qu’il faut, sans excès, André Marcon est cette comédienne de l’ombre. Dès les premières vacheries, dites avec légèreté, c’est une évidence, seul lui ,pouvait acquérir ce souffle singulier qui donne à ce personnage de seconde zone des airs de monstre sacré. Gestes simples, sans afféteries, il s’habille, s’apprête et donne à Anne-Marie la Beauté, toute sa force, sa fragilité, sa sensibilité. 

Avec ingéniosité et finesse, la plume de Yasmina Reza réveille les fantômes qui hantent les théâtres. Surfant sur un ton désuet avec les stars glamours des années 50 et 60, elle signe un magnifique portrait de femme, une ode troublante à l’art vivant et rend hommage à une époque révolue. 

Anne-Marie La Beauté de et mise en scène par Yasmina Reza. Du 30 novembre au 23 décembre 2021 à La Colline-Théâtre national.

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