Mohammad Rasoulof, à travers une fable politique, traite de la peine de mort en Iran, avec virtuosité et intelligence.

Des « individus parfaitement ordinaires allaient accomplir un travail qui, lui, ne l’était pas ». Les mots de Raoul Hilberg feraient un exergue parfait au nouveau film de Mohammad Rasoulof, Le Diable n’existe pas, anthologie de quatre récits autour de la peine de mort et de son utilisation par le régime iranien comme outil de contrôle. À ce titre, le premier court-métrage, centré autour du personnage de Heshmat, est d’une intelligence redoutable, désamorçant avec tranquillité chacune des fictions potentielles qui se présente à lui jusqu’au renversement final, déroulant avec lenteur l’étrange vie routinière – étrange parce que normale et filmée dans ses moindres détails – d’un père de famille idéal. Mari et fils attentionné, voisin serviable, automobiliste concentré, progressiste mais pas trop, ce citoyen modèle décidemment au-dessus de tout soupçon circule dans la ville comme dans la vie, avec cet air commode mais absent, comme retiré de sa propre destinée. Sensible et humain, Heshmat est pourtant de ceux qui ont choisi de ne pas choisir, d’accepter sans adhérer, déposant sa conscience en crise au pied des feux tricolores illuminant la nuit iranienne : si le diable n’existe pas, s’il n’y a pas de monstre pour faire sombrer l’humanité dans l’obscurité, il faut bien que quelqu’un s’en charge, sans trop y penser.

La richesse du film de Rasoulof tient dans le fait que chaque histoire vient simultanément prolonger et contrarier l’apologue précédent, la révolte de Pouya, jeune conscrit affecté à l’exécution des peines, répondant ainsi à l’atonie de Heshmat. Elle réside également dans la multiplicité des formes cinématographiques adoptées – alliant la chronique familiale au drame romantique, en passant par un film d’évasion d’inspiration bressonienne – toutes réunies sous un même régime visuel, aussi délicat que virtuose. S’il n’échappe pas toujours à la démonstration et au didactisme propres aux fables politiques, le réalisateur iranien se rappelle plus souvent qu’il ne l’oublie qu’il filme avant tout des êtres humains, capables de faire succéder le courage le plus sublime à la plus grande lâcheté, susceptibles de devenir les grains de sable de la machine qui les subjugue à l’état de rouages. L’insidieuse banalité du mal ne sert jamais d’excuse à ces personnages, auxquels Rasoulof offre toujours le choix, remettant au cœur de l’équation la question de l’individu, de sa morale, de l’écart entre le geste juste et le geste idéal. Un choix lourd de conséquences, d’abord ignorées, longtemps supportées, avec lesquelles ils devront vivre jusqu’au bout, tels Javad et Bahram, qui découvrent que le regard des vivants est aussi dur que celui des morts. Ce n’est peut-être qu’avec la dernière parabole que Le Diable n’existe pas expose au grand jour son objet : cette marque intime et secrète qui, comme le renard du petit Lacédémonien, ronge l’âme et nous accompagne jusqu’au trépas.

Le diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof, Pyramide distribution, sortie 1er décembre

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