C’est un festival de danse qui nous mène dans le cœur battant du monde tout au long du mois de novembre, Les Rencontres à l’échelle organisaient une soirée Beyrouth à Marseille, avec les nouvelles créations de Danya Hammoud et Alexandre Paulikevitch. Deux artistes en quête de sérénité. 

Beyrouth, ville meurtrie. Tant de souffrance, tant d’amour et tant d’artistes qui sont partis pour pouvoir continuer à travailler… Danya Hammoud vit aujourd’hui à Marseille. Alexandre Paulikevitch, lui, est resté au Liban. Aux Rencontres à l’Echelle dans la cité phocéenne, ils se sont retrouvés, ayant dansé leurs pièces respectives au cours d’une soirée chorégraphique fort symbolique. Dans Sérénités était son titre, Danya Hammoud et Yasmine Youcef racontent le trio qu’elles n’ont pu créer, suite à la violente explosion dans le port de Beyrouth, en août 2020. « Ghida est à Beyrouth, elle vous salue », dit Hammoud au public. Les confinements et fermetures de frontières ont à leur tour étranglé le projet. Le plateau blanc ressemble à un grand trou béant, où l’on imagine Sérénités, à partir des actions chorégraphiques évoquées, par les mots et par le corps. Le trio devait représenter une traversée, une migration, vue par le bassin de la femme, source de la vie. Le duo rend compte, dans ses fragments, du contexte actuel, vu par une artiste vivant entre la France et le Liban. Avec cette question en arrière-plan : « Qui va écrire notre histoire ? » 

Paulikevitch, qui a présenté au festival marseillais – et pour la première fois hors du Liban – son solo A’Alehom, témoigne de ses états vécus, par la poésie d’un corps qui se reconstruit. Meurtri et comme fracturé, puis dansant dans une boîte blanche verticale, à la fois abri et cercueil. Où il exprime une sensualité qui sera à nouveau brisée quand la caisse tombe avec grand fracas (son logement a été détruit dans l’explosion) et Paulikevitch apparaît derrière son masque à gaz. Les images renvoient à l’explosion, aux manifestations, au gaz lacrymo… Du corps désarticulé, courbé et comme bâillonné, il dit : « Quand j’apparais ainsi, c’est du réel. J’ai été arrêté par la police. Il y a eu une manifestation pour ma libération devant le commissariat, et ils m’ont lâché à quatre heures du matin. Je suis rentré chez moi et j’ai dansé toute la nuit, comme pour exorciser mes peines. » 

Ses bras se tordent derrière le corps courbé, comme ceux d’un danseur de Butô, et on se rappelle que l’Occident attribue cette danse des ténèbres japonaise au choc de la bombe atomique de Hiroshima. On peut aussi prêter à Paulikevitch quelques accents brechtiens, quand au début il entre en scène en jeans et t-shirt, pour se déshabiller, sortir de scène et revenir par l’autre porte, désormais le personnage de son propre témoignage intime. Ses bras incarnent un rêve de voler, comme ses pieds peuvent faire une excursion dans le Lac des Cygnes. En masque à gaz – c’est celui qu’il portait pendant les manifestations – son ombre prend des accents de Minotaure. Pour terminer le poing levé, car A’Alehom signifie « A l’attaque ! » Ce solo témoigne, comme le duo de Hammoud, de ses conditions de création, dans une simplicité extrême, où tout part de l’humain et se réalise grâce à lui, nous rappelant ce que nous sommes – ou devrions être – et quelles sont les vraies valeurs d’un spectacle. « Et surtout, ne me parlez pas de résilience ! » Car rien, au fond, n’est résolu. Surtout pas à Beyrouth, pas pour Paulikevitch, électron libre qui s’y trouve sans ses amis chorégraphes. « Avant, nous nous réunissions régulièrement pour nous donner mutuellement nos avis sur nos nouveaux spectacles, car à Beyrouth on ne trouve pas de regard extérieur avisé. » Pour continuer, ils doivent désormais se croiser dans les festivals en Europe, tels les Rencontres à l’Echelle. 

Les Rencontres à l’Echelle, jusqu’au 28 novembre, à Marseille, www.lesrencontresalechelle.com

Prochaines représentations: A’Alehom d’Alexandre Paulikevitch : FARaway festival, Reims, les 2 et 3 février 2022 // Sérénités était son titre de Danya Hammoud : Théâtre de Nîmes, Le Périscope, le 4 février 2022