Avec Au Crépuscule, Sharunas Bartas lève le voile sur un pan de l’histoire lituanienne.

Unte, adolescent singulier, promène son regard curieux sur les paysages lituaniens. Plus encore que cette terre qu’on dirait maudite, vouée à l’infertilité pour les siècles des siècles, c’est l’incongruité de ce visage qui nous frappe. Si les traits sont juvéniles, si la peau est encore lisse, les yeux du jeune homme deviendront semblables à ceux d’un vieillard qui aurait déjà tout vu, tout éprouvé. Cette pesanteur infiltre tous les plans d’Au Crépuscule, dans lequel Sharunas Bartas se confronte, comme jamais auparavant, à l’histoire de son pays, orchestrant la lutte des partisans contre l’occupation soviétique. Une guerre méconnue, menée dans l’ombre et le silence, dont le territoire méphitique s’étend au fur et à mesure du métrage, occupant d’abord les esprits et les cœurs, les fermes et les conversations tenues autour du feu, avant de se propager dans les champs, les forêts et les cieux.

Ce conflit, Bartas prend soin de le tenir à distance, de retarder son dévoilement, préférant le chercher dans les gestes du quotidien, ces gestes fragiles qui n’ont l’air de rien et qui semblent pourtant contenir toutes les catastrophes à venir. Le premier versant d’Au Crépuscule prend ainsi la forme d’une cruelle chronique familiale, où une modeste masure tient lieu de théâtre des mauvaises passions : Unte y côtoie son père adoptif Pliauga, petit propriétaire terrien, lâche, menteur et adultère.

Soutenant les partisans, Pliauga voit l’étau se resserrer sur son modeste royaume quand les Russes viennent lui demander, fort poliment bien entendu, de céder une partie de ses terres aux autres paysans du village. L’ambiguïté et la dissimulation deviennent alors le régime de langage officiel de ce petit monde, restreignant l’espace jusqu’à la suffocation. Les corps comme les mots – Au Crépuscule est d’ailleurs le film le plus bavard du réalisateur – participent à étendre l’empire de la suspicion et de l’inévitable trahison.

Séduit par leurs discours, Unte rejoint les partisans au cœur de la forêt, qui les dissimule comme elle les expose – se tenir debout là, c’est déjà résister, c’est être coupable aux yeux de l’ennemi. Loin de ses ambitions héroïques initiales, l’adolescent observe l’ironique horreur de la situation, qui voit les partisans exécuter les traîtres et les indécis, comme le font de leur côté les Soviétiques, se justifiant de « ne pas avoir le choix », car il faut bien, après tout, « choisir son camp ».

Ce qui est sublime dans le cinéma de Sharunas Bartas, ce qui le distingue des habituels misanthropes, c’est qu’il suffit d’un plan pour renverser la bassesse en grandeur et tenir dans le cadre la complexité du monde et des êtres. Le glaçant finale d’Au Crépuscule, où les partisans tombent dans la mort comme dans un sommeil profond, rappelle alors combien le cinéma est le lieu de la mémoire, l’endroit où les luttes niées ou oubliées peuvent reprendre un visage fraternel et retrouver leur raison d’être.

Au Crépuscule de Sharunas Bartas, Shellac, sortie 24 novembre

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