Le jeune Canadien Michael Christie signe une fresque romanesque saisissante : Lorsque le dernier arbre ou l’épopée des hommes et des arbres. 

Le temps de la forêt, le temps de la famille. Le roman de Michael Christie, Lorsque le dernier arbre, se développe entre ces deux espaces temporels, et c’est bien dans ce balancement d’un temps à l’autre, qu’il puise sa puissance tragique. Le récit familial des Greenwood se développe tout au long du XXe et du XXIe siècles, porté par différents personnages : les frères des bois, Harry et Everett, la défenseuse de la nature, Willow, la jeune chercheuse Jake, en sont sans doute les plus marquants. Nous découvrons leurs récits non pas en ordre chronologique, mais en avançant de chapitre en chapitre vers l’origine de l’histoire, la première mère, le premier enfant, à la manière des cernes d’un arbre qui nous mènent vers le cœur du tronc. Les destins qui nous sont contés sont tous liés à ce Canada mythique de forêts infinies, de monumentaux épicéas. Mais aussi, et nous le découvrons particulièrement dans ce roman, un pays de magnats de bois dont les fortunes colossales sont nées de forêts rasées au siècle dernier, sans qu’aucune réflexion écologiste à l’époque ne vienne freiner ces coupes. Politique, le propos de Michael Christie l’est, mais en véritable romancier, il fait vivre cette question de la forêt canadienne à travers différents personnages et récits qui permettent d’échapper à toute forme d’unilatéralité. Par ce jeu d’époques, qui nous fait passer de 1908 à 2038, Christie échappe à la fable didactique. On retient notamment le destin de Harry, l’enfant aveugle et orphelin devenu riche exploitant de forêts, et de sa fille, Willow, militante écologiste des années soixante-dix : leur impossible réconciliation devient l’un des récits les plus poignants du livre. A la mélancolie de l’un répond la course en avant de l’autre, les deux s’enfermant peu à peu dans une solitude qui ne leur permet pas de transmettre à leurs descendants autre chose qu’amertume et frustration. Christie se passionne pour les difficultés de communication des êtres, en fait le socle des destins de ses personnages. Ainsi les deux frères Greenwood qui ne se pardonneront jamais leurs deux existences opposées, l’un handicapé et riche, l’autre pauvre et libre, mais tous deux incapables de dire ce qui les a séparés pendant longtemps. Cette famille Greenwood se déploie en une constellation de figures intransigeantes et abîmées qui, à la manière des arbres d’une forêt, cherchent sous terre à nouer de difficiles liens. Christie s’inscrit aussi dans la tradition de grands romanciers et penseurs de la nature, de Woodsworth qu’il cite, à Thoreau qui semble planer sur ce livre. Comment ne pas penser à Walden ou la vie dans les bois lorsqu’Everett  fait le choix de se séparer de la civilisation en se retranchant dans une cabane des bois, de crainte de réaffronter la barbarie découverte pendant la Première Guerre mondiale ? « Il n’est pas d’homme qui ne regarde son tas de bois avec une sorte d’amour » écrit Thoreau. Une passion qui anime les personnages de Christie jusqu’à ce conte d’anticipation de 2038 qui ouvre le livre :  une forêt sur une île canadienne est devenue « cathédrale » visitée par des touristes du monde entier, témoignage vivant d’un monde boisé disparu, brûlé à peu près partout. Oui, le jeune Michael Christie est un tragique. 

Lorsque le dernier arbre, Michael Christie, traduit de l’anglais ( Canada), par Sarah Gurcel, éditions Albin Michel, collection Terres d’Amérique, 590p, 22, 90€