Au Théâtre du Petit-Saint-Martin, Marcial Di Fonzo Bo met en scène Les règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce. Un monologue savoureux incarné par une Catherine Hiegel au sommet.

« Naître, ce n’est pas compliqué. Mourir, c’est très facile.  Vivre, entre ces deux événements, ce n’est pas nécessairement impossible », écrit Jean-Luc Lagarce dans ce texte atypique, publié en 1994, pastiche caustique d’un livre à succès, Usages du monde, publié par la baronne Staffe en 1889. Ce petit manuel, qui alimentait le nationalisme du boulangisme alors à son apogée, présentait la politesse comme une caractéristique de l’identité française à déployer en toutes circonstances. Et de la façon dont il faut vivre, parés de « bonnes manières », en une heure de la vie à la mort, Catherine Hiegel nous expliquera tout. Avec quelques consignes très précises car, dit-elle, « les futilités accessoires que sont les sentiments ne sauraient nous déborder ». Ce précepte guide toute démarche, à tout ce qui dans la vie est « possible, logique et envisageable ». Depuis le choix du parrain et de la marraine qui doit être effectué en fonction de l’aisance financière de ces derniers, jusqu’aux obsèques, en passant par les indications pour une robe de mariée parfaite, « virginale et non fastueuse » dont la couleur et les fleurs devront s’ajuster –et se dégrader en fonction de l’âge de la mariée. Pour raconter ces leçons, Marcial Di Fonzo Bo a opté pour une scénographie minimaliste, quelques tables, un bouquet de fleurs blanches, un grand rideau d’organdi. Bonne idée. Dans ce cadre épuré, l’imagination s’ouvre d’autant plus facilement que Catherine Hiegel, d’une présence incandescente, cueille ses spectateurs comme des fleurs de la première à la dernière minute du spectacle.

Rares sont les moments de silence en salle, le public sourit, rit, parfois aimerait répondre, emporté par ce flot de règles, parfois grotesques, souvent hypocrites, toujours conservatrices, énoncées avec une conviction et une précision désarmante par une Catherine Hiegel jubilatoire. Les grandes actrices sont capables de nous faire croire n’importe quoi. Et c’est fou comme une heure passe vite en compagnie de Catherine Hiegel, dont c’est le premier seul en scène. En tenue noire, ballerines et –forcément col Claudine, l’immense comédienne nous interpelle avec ces petites règles d’un autre temps, dont elle souligne en creux, par des silences et des regards bien sentis, qu’elles ne sont en rien une garantie contre la solitude, la vieillesse et la mort.  En outre, en jouant sans cesse sur les ruptures de ton, les regards appuyés ou fuyants et l’ironie acide, la comédienne fait passer subtilement un message politique. Ces images surannées d’une bourgeoisie catholique un brin ridicule seraient charmantes (oh les bébés offrant à leurs grands-parents une fleur tenue avec peine dans leurs petites mains potelées !) et seulement amusantes si elles ne se faisaient l’écho d’un désir conservateur, misogyne et castrateur, en un mot liberticide, très Troisième République, d’une France d’hier qui semble, hélas, de nouveau, très vivace. 

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo au Théâtre du Petit-Saint-Martin jusqu’au 31 décembre. 

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