Un déménagement se transforme en ballet des corps dans ce film des frères Zürcher où la bohème berlinoise est réinventée, mais surtout rêvée, entre les murs d’un studio (de cinéma). En salles mercredi 20 octobre.

Le deuxième film de Ramon et Silvan Zürcher pourrait presque se résumer par un jeu autour du mot anglais « moving » : il raconte le temps d’un déménagement les émois d’une poignée de personnages, réunis en un ballet où ce sont autant les cœurs que les meubles qui sont transportés. C’est aussi l’histoire d’une amitié dont les lignes vont bouger au cours de ces trois journées décisives : pour Lisa, qui s’en va, c’est une étape nécessaire dans son émancipation ; pour Mara, qui reste, c’est un déchirement, mais aussi une occasion de clarifier son rapport confus au monde. À ce duo initial s’en greffent d’autres : la mère de Lisa et le déménageur Jurek ; les deux voisines, dont l’une d’entre elles ne vit que la nuit et daigne rarement enfiler un T-shirt… 

Les frères Zürcher sont suisses mais ont fait leurs études à Berlin, et La Jeune fille et l’araignée peut se lire comme une sorte de retour vaporeux vers leurs années dans la capitale allemande. On retrouve ainsi le mélange de bohème artistique, d’étrangeté au quotidien et de sexualité fluide qui caractérise la ville ; mais plutôt que d’en offrir une vision naturaliste, ils l’ont recréée entièrement sur leurs terres, en Suisse, dans une ancienne brasserie désaffectée. S’en dégage une atmosphère onirique et théâtrale, où les allées et venues sont autant d’entrées et de sorties de scène. Tout ou presque se joue entre les murs de l’immeuble, dans la profondeur de plans si tactiles qu’on les croirait filmés avec une caméra 3d, et aucun écho du monde extérieur ne doit venir troubler la patiente observation de ces petits séismes sentimentaux. Même les rares percées hors de l’appartement, comme ce gros plan récurrent sur un marteau-piqueur illustrant la faille grandissante entre les deux colocataires, apparaissent comme une habile convention, un lever de rideau accompagnant chaque lever du jour. 

Les Zürcher ne justifient jamais les élans qui poussent les personnages à se rapprocher ou à se fuir et se contentent de mesurer la distance entre eux à l’écran, en les massant dans des petits bouts d’espace décomposé à la façon de Bresson. L’expérience pourrait s’essouffler sur la longueur si, à la nuit tombée, les cinéastes n’en profitaient pour relancer leur film vers des climats à la lisière du fantastique : une vieille voisine voleuse de chats se transforme en sorcière sur le toit de l’immeuble, la fille aux seins nus apparaît coiffée d’un casque de moto, Mara fait d’une araignée son animal de compagnie… Ces visions, tout comme le récit exhumé d’une femme de ménage ayant choisi de tout quitter pour partir jouer du piano sur un bateau, dessinent des outre-mondes qui participent de l’étrangeté d’un film où toutes les formes artistiques, des plus nobles aux plus pop, trouvent leur harmonie au sein de cet élégant va-et-vient sentimental. 

La jeune fille et l’araignée de Silvan et Ramon Zürcher. Sortie le 20 octobre. Wayna Pitch