Rencontre avec Renate Reinsve et Joachim Trier pour ce très beau film Julie en 12 chapitres. En salles mercredi 13 octobre.

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans notre numéro d’octobre.

Comment avez-vous fabriqué le personnage de Julie ?

Jochim Trier : Je connais Renate depuis plus de dix ans. En la côtoyant et en la voyant au théâtre, je ne comprenais pas qu’elle n’ait toujours pas eu de grand rôle. J’ai donc écrit ce personnage en pensant à elle comme j’avais écrit celui d’Oslo 31 août en pensant à Anders Danielsen Lie qui joue ici le rôle d’Aksel, son premier petit ami.

Reinate Reinsvle : Quand j’ai découvert Julie, je me suis sentie proche d’elle. C’est comme si Joachim avait lu en moi, notamment parce qu’elle se pose beaucoup de questions sur tout et tout le temps. Elle remet tout en cause, n’est jamais certain de faire le bon choix. Mais de temps en temps, en réaction à ça, elle réagit de façon très spontanée.

Comment écrit-on précisément pour quelqu’un ? Avez-vous travaillé ensemble pour composer ce personnage ?

J.T :  J’ai senti en Renate des choses intérieures que j’ai voulu explorer et montrer. Créer pour quelqu’un que vous pensez connaître, c’est comme dessiner sur une toile déjà peinte. Mais vous savez, l’important, c’est d’obtenir au bout de ce processus de grands moments cinématographiques.

R.R : Joachim est quelqu’un qui ne laisse rien au hasard. Le rôle était extrêmement écrit et je devais lui apporter mon élan mais sans dévier de ce qui était dans le scénario.

Y a-t-il de nombreuses répétitions en amont ? Y a-t-il une part d’improvisation ?

R.R: Très peu. Néanmoins, Joachim laisse toujours tourner la caméra avant et après la scène pour que parfois se produisent des heureux accidents qu’il gardera peut-être au montage.

J.T: Je crois à cet adage qui dit: « la chance sourit à ceux qui sont bien préparés ». C’est parce que les choses sont très écrites et répétées dans le moindre détail que peut advenir le chaos qui donne chair, émotion et vulnérabilité aux personnages. Mais si je répète beaucoup, je ne dis pas un mot le jour du tournage pour ne pas gâcher ce qui peut se produire dans l’instant.

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L’alchimie entre les comédiens est prodigieuse, notamment dans la scène de rencontre entre Julie et Einvind. Vous avez trouvé le comédien idéal pour jouer avec Renate. Comment choisit-on le bon interprète, notamment avec des personnages aussi complexes et égarés que ceux-ci ?

R.S: Le vrai talent de Joachim, c’est de voir les gens. Il lit en eux. Et au casting, il cherche très longtemps – parfois ça peut prendre des années – exactement la bonne personne. J’ai l’impression que le casting est l’essence de son art.

J.T: De temps en temps, on peut rencontrer une personne et savoir immédiatement que ça va être parfait comme quand j’ai rencontré Isabelle Huppert que j’ai fait jouer dans Louder than bombs. En ce qui concerne Einvind, j’ai passé des mois à le chercher. Quand j’ai testé Hebert Nordrum, j’ai senti son potentiel à pouvoir jouer le drame et la comédie. Néanmoins, je l’ai fait revenir au moins une dizaine de fois car je demeurais perplexe. Mais quand il a joué pour la première fois avec Renate, le miracle a eu lieu et j’ai su que je tenais le bon comédien.

Ce n’est ni une comédie, ni un drame même s’il emprunte à ces deux genres mais ce qui fait sa différence, c’est que vous magnifiez des situations quotidiennes et banales. 

J.T: C’est l’un de mes buts : trouver de grandes idées dans les petites choses de la vie. Le cinéma consiste à pointer une énorme machinerie sur de toutes ces petites choses sur lesquelles vous et moi puissions à un moment donné nous identifier pour que ça résonne. Quand j’étais enfant, j’avais une caméra car toute ma famille travaillait dans l’industrie du cinéma. Avec cette caméra, je me foutais de raconter des histoires. Ce que je voulais, c’était d’abord montrer des choses, une lumière, un objet.

Julie a deux amants. Le premier, Eksen, est âgé d’une quarantaine d’années. Au cours du film, il dit regretter l’argentique, se plaint du numérique et du fait que dorénavant les objets comme les disques ou les DVD disparaissent. S’exprime-t-il à travers vous à cet instant puisque vous avez choisi d’utiliser de la pellicule ?

J.T : Oui et non. Eksen est effectivement de ma génération et non de celle de Julie. Je peux comme lui être nostalgique mais je combats sans cesse cette nostalgie en moi. Elle est stérile. Ce n’est donc pas par nostalgie que j’ai choisi le 35 mm mais pour des raisons précises de cinéma.

Cela vous permettait de mieux capter l’émotion émanant de la lumière si particulière d’Oslo ?

J.T : Je connais cette ville par cœur. Je voulais faire ressentir chaque heure, chaque lumière dans des coins précis. C’est quoi d’être à 17 heures sur cette place ? Mais ce n’est pas l’unique raison. On ne le dit pas assez, et les journalistes n’en parlent jamais, mais le 35 mm permet de capter l’essence même d’un visage, de faire les plus beaux portraits. C’est très spontané alors qu’avec le numérique, il faut repenser, recomposer. C’est beaucoup plus intellectuel.

Renate, pourquoi Julie ne se satisfait pas de sa relation avec Eksel alors que celle-ci semble idéale ?

R.S : Nous vivons une époque particulière et c’est ce dont parle le film : nous sommes bombardés d’informations et d’injonctions contradictoires. On nous dit sans cesse que nous pouvons être tout à la fois et, en même temps, les autres comme Eksel nous enferment dans des cases et dans leur regard. Parfois, on perd les pédales comme Julie. Je connais bien ce sentiment.

Julie en 12 chapitres, Joachim Trier, Mémento distribution, en salles le 13 octobre. Découvrez la bande-annonce du film en suivant ce lien.