Un remarquable petit essai, vif et stimulant, d’Arnaud Viviant, critique, entre autres, à Transfuge, dessine, justement, les contours de cette créature protéiforme : le critique littéraire.

« Oh ! la grande place à prendre pour un jeune lettré, spirituel, méchant avec talent, qui intitulerait un article paraissant toutes les semaines, la « Critique de la critique » (…) !» : trois lignes d’Edmond de Goncourt (Journal), deux points d’exclamation, et un portrait du critique en voltigeur aux fontes pleines de lettres, de talent. Les premières et le second, Arnaud Viviant, qui parcourt à franc étrier deux siècles de critique littéraire, les a incontestablement. « Méchant », il ne l’est pas (encore que certaines tournures sabre au clair n’épargnent ni leur objet, ni les zygomatiques du lecteur) ; ironique, il l’est certainement. Cantique de la critique n’est ni une défense et illustration corporatiste, ni un requiem, Viviant a trop d’autodérision et de gaie rouerie, de jeunesse allègre d’esprit, pour ça. 

Une mesure d’histoire littéraire (cum grano salis, immunisée contre tout virus pontifiant) : Sainte-Beuve annonçant la dissolution des critiques dans la « Critique », vox impersonnelle de ceux qui ne sont pas des dei, mais désormais des soutiers de l’industrie littéraire, puis au XXe siècle la « critique éditoriale intégrée » qui comprend, confond, éditeur, auteur et chroniqueur, puis encore le nouveau millénaire et l’expansion exponentielle de l’écriture, mais aussi Thibaudet, Pierre Bayard, l’étrange monsieur Paulhan (héros ou antihéros secret et point aveugle du livre)… Une mesure d’autobiographie : ça lit comment, un chroniqueur comme Arnaud Viviant ? C’est quoi, sa physiologie et son métabolisme de lecteur ? Enfin, une mesure de conceptualisation, mais jamais assénée solennellement : morceau par morceau, au gré d’un décousu malicieux mais jamais anarchique, c’est quelque chose non pas comme une essence (terme trop figé) mais une vocation de la critique qui se dessine, une ambition sans borne (tout lire), une intransigeance éthique (« le chroniqueur littéraire n’a jamais prétendu être un prescripteur, mais bel et bien toujours un postscripteur »). Vocation contradictoire, car « la critique est cette duègne duplice qui, non seulement élève, accompagne et surveille la littérature, mais qui l’enterrera aussi bien, le cas échéant ».

On n’en finirait pas de mesurer toute l’étendue de ce petit livre, aux dimensions trompeuses : les avatars de la « haine de la critique », la promotion du « livre » au détriment de la « lecture », les chaises musicales entre critiques et libraires, au détriment des premiers, la généalogie rigoureuse, depuis Sainte-Beuve, du vieil argument du méchant-critique-dont-les-méchancetés-vouent-à-la-misère-le-pauvre-écrivain, l’irrésistible ascension du polémiste littéraire… Et puis les compromissions, les aveuglements, les contresens aussi : non, le bloggeur n’est pas un critique, l’opinion gratuite (à tous les sens du terme) sur la Toile n’a rien à voir avec la recension imprimée… Et au détour de quelques pages, voilà qu’on entre dans l’incommensurable philosophique et esthétique, et qu’il est question du « goût », concept inconcevable, irréductible à toute définition…

Mais s’il est vrai que l’homme est la mesure de toute chose, c’est à cet étalon qu’il faut ramener l’acte critique. La subjectivité de l’idiosyncrasie, mais tempérée, bornée, par une entente et une intelligence rigoureuses de la matière de la littérature. Les mots. Soit « le langage qui, pour être culbuté et déménagé de temps à autre, doit néanmoins être respecté afin de ne pas sombrer dans le salmigondis, le pataquès, le charabia, le baragouin. »

Arnaud Viviant, Cantique de la critique, La Fabrique, 184 p., 13€