Le dernier film de Christophe Honoré, Guermantes, nous plonge au cœur de la troupe de la Comédie-Française, à un instant critique. Hymne à Proust et au théâtre. 

Qui a vu la pièce Guermantes, petit miracle théâtral de l’automne 2020, sait que Christophe Honoré était parvenu à déjouer le mauvais sort qui promet à un grand nombre d’adaptations de La Recherche un échec assuré. À sa manière irrévérencieuse et instinctive, Honoré nous embarquait dans l’hôtel des Villeparisis, la chambre de la grand-mère, le salon d’Oriane. Lieux imaginaires devenus sur la scène du Marigny, songes heureusement entrelacés de Marcel P. et Christophe H.  Cet art de s’immiscer dans l’œuvre de Proust permit à la troupe de la Comédie-Française d’offrir un spectacle virevoltant et virtuose, alternant les scènes intimes de Marcel et de Saint-Loup, le moment tragique de la mort de la grand-mère rendu par un film éprouvant, la dernière apparition de Swann, point culminant et désespéré, ou les merveilleuses soirées rivalisant de saillies antisémites et de danses sur les tubs populaires. On le sait, Christophe Honoré aime la chanson. 

 Cet art de se placer dans le monde de Proust, et de nous permettre de sentir Marcel ou Françoise au plus près, s’exprime une nouvelle fois dans Guermantes, le film. Une captation de la pièce ? Tout sauf ça. Un documentaire des coulisses ? En apparence, oui, mais il est assez clair au fur et à mesure qu’il s’agit aussi d’une fiction, écrite par le réalisateur, et à laquelle les comédiens de la Troupe se prêtent.  Au départ, la catastrophe bien connue : en pleines répétitions de Guermantes, on annonce que la première n’aura pas lieu. Nous sommes à l’été 2020, en juillet, en cette période douce-amère où beaucoup croient que l’épidémie est derrière nous, mais déjà l’automne se couvre d’incertitudes. Mais ce n’est pas encore l’État qui ferme les théâtres, ce sont les acteurs eux-mêmes qui décident, au gré de ce processus propre au Français qui voit certains comédiens au sein d’un « comité » prendre l’essentiel des décisions, que la première n’aura pas lieu. 

La nouvelle tombe au début du film, l’une des meilleures scènes en découle : Christophe Honoré, dans la salle, affronte les comédiens, sur scène, en costumes, qui se posent la question de continuer à répéter. Dominique Blanc, Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Elsa Lepoivre, Laurent Lafitte, Anne Kessler… Les uns s’y opposent, les autres prennent le parti d’Honoré. Et puis Christophe Honoré sort de l’ombre, sur son visage se dessine l’abattement de la défaite. Il commence, au gré d’une colère rentrée, à affronter la troupe. C’est une scène d’une tension intense qui annonce les deux tonalités du film ; d’une part les acteurs qui joueront, débattront, rigoleront, s’aimeront, à la manière de personnages proustiens ; d’autre part, le metteur en scène, seul, déprimé, silencieux, incarnant cette mélancolie du créateur à qui la réalité se refuse, autre trait proustien s’il en est. Réalisateur de l’amitié, des soirées sans fin, et de l’amour, Honoré consacre beaucoup de temps à filmer cette magnifique troupe dans les couloirs du Marigny, jusqu’à cette scène magistrale, d’un long dîner dans les jardins des Champs- Elysées, les acteurs se saoulant, riant et pleurant dans le soleil couchant. Nous sommes parmi les ombres, le spectateur ne l’oublie pas, du petit Marcel poursuivant la petite Gilberte. Et c’est bien là la puissance secrète de ce film, certes, nous sommes dans l’été arrêté de la catastrophe pandémique, mais aussi dans le monde de Proust, entre le Ritz et les Champs-Elysées, dans le désir d’Anne Kessler pour Sébastien Pouderoux, de Sébastien Pouderoux pour Elsa Lepoivre, dans ces jeux d’amour et d’ivresse qui occupent toute une nuit. Car comme le narrateur de La Recherche, dans ce Paris figé par la maladie, les acteurs du Français et Christophe H. décident de ne plus se coucher de bonne heure. 

Guermantes, un film de Christophe Honoré, avec la troupe de la Comédie-Française, au cinéma le 29 septembre. 

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